Livestock Research for Rural Development 30 (2) 2018 | Guide for preparation of papers | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
Dans le but de caractériser les valeurs nutritionnelles des feuilles de fourrager ligneux de l’est algérien, la composition chimique, la production de gaz et de méthane avec et sans présence de polyéthylène glycol (PEG) ont été déterminés. En absence de PEG, P. angustifolia est l’espèce la plus digestible après 24 h d’incubation avec une production de gaz de 34,23 ml/0,2 gMS, cependant, elle est la plus faible pour Acacia dealbata (7,27 ml/0,2 g MS), il en est de même pour la production de méthane 0,90 ml/0,2 g MS). L’ajout du PEG a amélioré nettement la production de gaz chez cette espèce, avec des taux d’augmentation de 123 et 94,03 % pour le gaz et le méthane respectivement. Contrairement, le PEG a eu un effet dépressif sur la production de gaz et de méthane dePhillyrea angustifolia (-37,30 ; -20 %respectivement) et Phillyrea latifolia (-8,09 ; -73,70% respectivement).
Mots clés: digestibilité, fourrages ligneux, ruminant, valeur nutritives
In order to characterize the nutritional values of the leaves of woody forage in northern Algeria, chemical composition, gas and methane production with and without the presence of polyethylene glycol (PEG) were determined. In the absence of PEG, P. angustifolia is the most digestible species after 24 h of incubation with gas production of 34.23 ml / 0.2 gMS , however, Acacia dealbata is the lowest digestible plant with production of gas of 7, 27 ml / 0.2 g MS, it is the same for the production of methane (0.90 mL / 0.2 g MS). The addition of PEG improved markedly gas production for this species, with the increase rate of 123, and 94.03 % for gas and methane respectively. In contrast, PEG had a depressive effect on the production of gas and methane ofPhillyrea angustifolia (-37.30 ; 20% respectively) and Phillyrea latifolia (-8.09 ; -73.70 % respectively).
Keywords: digestibility, nutritive value, ruminants, woody forage
Les ruminants sont une importante source de nourriture pour les humains. En effet, ils sont capables de valoriser certaines espèces végétales (fourrages) en transformant leurs matières fibreuses en protéines animales (Vignau-Loustau et Huyghe 2008) grâce aux microorganismes du rumen. Ce phénomène a toujours fait l'objet d’importantes recherches scientifiques dans le but de comprendre son mécanisme. La végétation spontanée, surtout ligneuse, contribue d’une façon très importante à couvrir les besoins des ruminants vivant en système extensif ou semi-extensif, c’est le cas de la wilaya d’El Tarf, dans laquelle, les éleveurs pratiquent majoritairement ce genre d’élevage à cause de la disponibilité des vastes étendues forestières (166 311 ha de forêts, Direction générale des forêts) qui procurent des unités fourragères gratuites pour le bétail. C’est aussi le cas des animaux de certains systèmes agricoles traditionnels dans les zones montagneuses et les zones arides, pour qui les fourrages ligneux sont le principal apport en protéines et énergie pour les ruminants.
Ainsi, pour une utilisation optimale du potentiel nutritionnel de cette végétation naturelle, il est nécessaire de connaître sa valeur nutritive, déterminée aussi bien par la teneur de ses composés chimiques que par la vitesse et l'ampleur de leur dégradation qui se manifestent par la production de gaz ou d’autres métabolites fermentaires (Getachew et al 1998). C’est dans cette optique que s’inscrit l’objectif de la présente étude qui vise à déterminer les caractéristiques nutritionnelles des fourrages ligneux consommés par les ruminants en Algérie, d’’évaluer leur digestibilité en utilisant comme indicateur de digestibilité la production de gaz et de méthane et de mesurer l’effet d’ajout du polyéthylène glycol sur ces paramètres, de même que sur les propriétés anti méthanogènes de chaque espèce d’arbustes afin d’encourager la consommation des espèces anti méthanogènes, respectueuses de l’environnement.
Tous les échantillons prélevés provenaient du maquis entourant le marais de Bourdim, sauf Fraxinus angustifolia qui se trouvait au sein de la végétation même du marais de Bourdim qui est une zone sylvo pastorale située à la périphérie ouest du parc national relevant de la wilaya d’El Tarf, laquelle est située au nord-est de l’Algérie (8° 11’ de longitude et 36° 47’ de latitude). Du point de vue climatique, la région se situe dans l’étage bioclimatique de type sub-humide à humide chaud, avec des hivers doux et des étés secs.
Les relevés climatiques sur les 20 dernières années indiquent des précipitations moyennes annuelles de 800 à 1 200 mm, caractérisées par une grande irrégularité intra-annuelle. En effet, les précipitations mensuelles varient entre un maximum aux mois de décembre et janvier (respectivement 134,34 mm et 136,42 mm) et un minimum en juillet et août (3,97 mm et 13,34 mm). La température moyenne annuelle est de 19,24°C avec un maximum en août (27,35°C) et un minimum en janvier (12, 96°C).
Le choix de ce site est motivé par la biodiversité du cortège floristique et la pression pastorale assez importante qu’on y rencontre.
Les feuilles de six espèces de ligneux fourragers répartis entre quatre familles botaniques ont été échantillonnées au niveau du site d’étude (Tableau 1). Il s’agissait de : Fraxinus angustifolia, Acacia dealbata, Phillyrea angustifolia, Phillyrea latifolia, Smilax aspersa et Lavandula stoechas. Le choix de ces espèces a été motivé par leur abondance dans la région d’étude et par leur appétence par les petits ruminants.
L’échantillonnage a eu lieu en automne, les échantillons ont été séchés pendant 48 h dans une étuve ventilée réglée à 50°C. Cette température évite la dénaturation des composés chimiques de la plante (protéines, phénols) (Makkar et Singh 1991).
Après séchage, les échantillons, par espèce, ont été broyés en utilisant une grille de 1 mm et une aliquote de 200 g par espèce a été conservée dans des flacons jusqu’aux analyses ultérieures.
Tableau 1. Noms des fourrages ligneux de l’étude |
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Nom vernaculaire |
Nom latin |
Famille botanique |
Lavande sauvage |
Lavandula stoechas |
lamiacées |
Frêne commun |
Fraxinus angustifolia |
oléacées |
Salsepareille |
Smilax aspersa |
smilacacées |
Filaire à petites feuilles |
Phillyrea angustifolia |
oléacées |
Filaire à grandes feuilles |
Phillyrea latifolia |
oléacées |
Acacia mimosa |
Acacia dealbata |
légumineuses |
Tous les échantillons du matériel végétal prélevé ont été analysés en double pour déterminer leurs teneurs en matière sèche (MS) et en matière minérale (MM) selon les procédures AOAC (1990). La matière azotée totale a été dosée par la méthode de KJELDAHL (ISO 1997).
Les constituants pariétaux (neutral detergent fiber, NDF – Fibre au détergent neutre ; acid detergent fiber, ADF – ligno-cellulose ; et acid detergent lignin, ADL – lignine) ont été déterminés selon la méthode de Van Soest et al (1991). Les phénols totaux (dosés par le réactif de Folin– Ciocalteu) et les tanins totaux ont été analysés selon la procédure décrite par Makkar et al (1993). Les résultats sont exprimés en équivalent d’acide tannique par kilo de matière sèche.
Les tanins condensés ont été déterminés par oxydation dans le réactif butanol-HCl en présence d’un réactif ferrique selon la technique de Porter et al (1986). Les résultats sont exprimés en équivalent leucocyanidine par kilo de matière sèche.
Les tanins hydrolysables ont été calculés en soustrayant les tanins condensés des tanins totaux.
L’inoculum est constitué de jus de rumen prélevé directement par pompage à l’aide d’une sonde gastrique (Tisserand et al 1965); les donneurs sont quatre ovins de race barbarine, nourris avec 1 kg de foin de vesce avoine et 500 g d’orge depuis plus de trois mois.
Le contenu ruminal (mélange de jus et de particules alimentaires) est immédiatement filtré à travers trois couches de gaze chirurgicale. Le filtrat qui correspond au jus de rumen est récupéré dans un thermos préchauffé avec une eau tiède d’environ 39 °C. Le thermos contenant le jus est bien fermé puis transporté au laboratoire pour les manipulations ultérieures.
De la salive artificielle est mélangée au jus de rumen (2:1, v/v) sous barbotage de CO2 et agitation pendant toute la durée de la manipulation.
La technique de mesure des gaz adoptée a été décrite par Menke et Steingass (1988). Elle est largement utilisée pour estimer la digestibilité des aliments pour les ruminants (Menke et Steingass 1988, Getachew et al 2004), en se basant sur une simulation de la digestion dans le rumen.
La technique originale décrite par Menke et al (1979) utilise des seringues en verre de 100 ml comme matériel d’incubation. Le substrat incubé dans la seringue calibrée en présence de l’inoculum (jus de rumen et salive artificielle) est soumis à une fermentation qui aboutit à des produits terminaux de la digestion en l’occurrence l’ammoniac, les acides gras volatils et les gaz, notamment le CO2 et le méthane. La production de gaz est mesurée dans ce cas à travers le déplacement du piston de la seringue au cours du processus de fermentation (Mebirouk-Boudechiche et al 2015).
Un échantillon de 200 mg par fourrage est introduit dans chaque seringue calibrée de 100 ml puis additionné de 30 ml d’un mélange de salive artificielle et de jus de rumen. Les seringues sont ensuite immédiatement plongées dans un bain Marie réglé à 39°C ; elles y sont maintenues pendant toute la durée de l’incubation. Chaque échantillon a été incubé en double. Deux seringues dans lesquelles seul le jus de rumen et la salive artificielle ont été introduits ont servi de témoin.
Afin d’estimer la vitesse de fermentation par la mesure de la quantité de gaz produit, pour chaque seringue, la lecture du volume des gaz a eu lieu après 0, 2, 4, 6 et 24 h d'incubation. La production nette de gaz aux différents moments est exprimée en ml/seringue.
Les tanins forment des complexes avec les protéines en les emprisonnant. Ces dernières deviennent alors indigestibles. Théoriquement, le PEG est une molécule chimique ayant une affinité pour les tanins, il arrive à « lyser » ce complexe tanins/protéines en libérant les protéines dans le milieu ruminal, ces dernières deviennent alors plus digestibles et libèrent plus de gaz et de méthane.
Dans le but de déterminer la production de gaz et d’évaluer l’impact des tanins sur la production in vitro de gaz de la biomasse microbienne, la technique de production de gaz décrite plus haut a été répétée, mais laquelle 200 mg de chaque échantillon a été incubé en double, c.a.d. en absence et en présence de 0,2 g de PEG/seringue.
Après 24 h d’incubation on repère le déplacement du piston de chaque seringue qui correspond au volume de gaz produit puis on injecte 4 ml de NaOH (10 N) dans chaque seringue, ce dernier absorbe le CO2, ce qui entraîne la rétraction du piston, la différence des volumes représente la quantité de méthane produite (Fievez et al 2005).
L’activité biologique des tanins a été calculée en faisant le rapport entre la production de gaz avec PEG mesurée après 24h d’incubation et celle sans PEG pour le même échantillon.
Les différents paramètres étudiés (volume total de gaz et de méthane produits après 24 h ont été soumis à une analyse de la variance selon la procédure GLM (General Linear Model) du logiciel SAS (1997). Pour estimer les paramètres de fermentation de production de gaz, le modèle NLIN a été utilisé. La procédure PROC CORR a été utilisée pour déterminer la matrice de corrélation entre les paramètres chimiques et biologiques.
Les feuilles de toutes les espèces arbustives sont faiblement pourvues en matière sèche, Fraxinus angustifolia en est l’espèce la plus riche (57,2 %), de même qu’en matières minérales (9,12 %MS) tandis que les feuilles de Lavandula stoechas sont les plus riches en eau (21,2 % de MS) (Table 2). Les teneurs en matières azotées totales sont différentes entre espèces. Ainsi, les feuilles de Smilax aspersa et Fraxinus angustifolia sont les plus faiblement pourvues en matières azotées totales (2,26 %MS), alors qu’ Acacia dealbata possède les teneurs les plus élevées en protéines brutes (8,37 %MS).
Concernant les teneurs en fibres, les analyses de laboratoire révèlent que les feuilles de toutes les espèces arbustives sont fortement pourvues en parois totales, celles-ci varient de 50,20 à 66,16 %MS respectivement pour Fraxinus angustifolia et Smilax aspersa, espèces caractérisées aussi par les teneurs les plus élevées en lignine et ligno cellulose comparées aux autres espèces.
Les plus fortes teneurs en tanins, phénols totaux et tanins condensés sont observées chez Acacia dealbata (47,0 ; 37,7 g équivalent acide tannique/kg MS et 18,2 g équivalent leucocyanidine/kg MS respectivement), tandis que Lavandula stoechas enregistre les valeurs les plus faibles en ces composés (12,3 ; 6,91 g équivalent acide tannique/kg MS et 2,63 g équivalent leucocyanidine/kg MS respectivement) (Table 3). En outre, les résultats du Tableau 3 révèlent qu’Acacia dealbata est l’espèce ayant l’activité anti-nutritionnelle de ses tannins la plus élevée (2,23).
Tableau 2. Composition chimique des feuilles des fourrages ligneux d’automne (en % de MS, sauf pour MS qui est à l'air sec) |
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Espèces |
MS |
MM |
MAT |
NDF |
ADF |
ADL |
Fraxinus angustifolia |
57,24a |
9,12a |
2,26b |
50,2b |
24,2c |
12,4d |
Acacia dealbata |
30,7b |
4,39e |
8,37a |
64,3a |
29,7a |
25,4a |
Lavandula stoechas |
21,2c |
8,02b |
6,89ab |
61,4a |
36,9ab |
24,0ab |
Smilax aspersa |
37,1b |
6,43c |
2,26b |
66,2a |
42,1a |
25,6a |
Phillyrea angustifolia |
36,3b |
5,20d |
5,37ab |
59,1a |
36,6ab |
21,6bc |
Phillyrea latifolia |
31,3b |
3,71e |
4,9ab |
52,2b |
32,8b |
22,1bc |
ESM |
10,4 |
0,06 |
3,3 |
6,4 |
3,5 |
0,83 |
p |
0,001 |
0,0001 |
0,0001 |
0,001 |
0,0005 |
0,0001 |
abc La présence de différentes lettres sur la même colonne indique une différence entre les espèces de p < 0,05 |
Tableau 3. Composants phénoliques et activité biologique des tanins des feuilles des ligneux fourragers d’automne. |
||||
Espèces |
PT |
TT |
TC |
Activité biologique des tanin |
Fraxinus angustifolia |
22,6bc |
14,8 ab |
5,03 bc |
1,09 cd |
Acacia dealbata |
47,0 a |
31,7 a |
18,2a |
2,23 a |
Lavandula stoechas |
12,3 c |
6,91 b |
2,63 c |
1, 09 cd |
Smilax aspersa |
20,7 bc |
17,21 ab |
7,61 b |
1,30 bc |
Phillyrea angustifolia |
42,9 a |
32,4 a |
5,7 bc |
1,37 b |
Phillyrea latifolia |
32,1 ab |
14,1 ab |
4,99bc |
0,92 d |
ESM |
10,3 |
12,7 |
2,6 |
0,003 |
p |
0,0001 |
0,0001 |
0,0001 |
< 0,0001 |
Sap : Saponines ( en g équivalent diosgenin/kg MS) ; PhT : Phénols totaux (en g équivalent acide tannique/kg MS); TT : Tanins totaux (en g équivalent acide tannique/kg MS). TC : Tanins condensés (en g équivalent leucocyanidine/kg MS). * L’activité biologique des tanins est le rapport entre la production de gaz avec PEG mesurée après 24h d’incubation vs. Contrôle (i.e., gaz PEG / gaz contrôle). abc La présence de différentes lettres sur la même colonne indique une différence significative entre les espèces (p < 0,05) |
La production de gaz est différente entre les arbustes fourragers, de même qu’entre les temps d’incubations pour un même fourrage (Tableau 4). Après 24 heures d’incubation Fraxinus angustifolia se montre plus dégradable que toutes les autres espèces fourragères en produisant le plus grand volume de gaz (31,1 ml/0,2 g MS) alors qu’Acacia dealbata donne la plus faible quantité de gaz en fin d’incubation (5,93 ml/0,2 g MS).
Tableau 4.
Évolution de la production de gaz en fonction du temps
des |
||||
2 h |
4 h |
6 h |
24 h |
|
Fraxinus angustifolia |
4,84a |
12,9a |
16,8 a |
31,1a |
Acacia dealbata |
1,37b |
3,64 c |
4,55c |
5,93 c |
Lavandula stoechas |
2,07 ab |
4,67 c |
5,71c |
18,7b |
Smilax aspersa |
4,35 ab |
9,16 b |
11,1b |
24,6ab |
Phillyrea angustifolia |
3,53 ab |
9,07 b |
11,1b |
18,6b |
Phillyrea latifolia |
2,99 ab |
10,5ab |
14,0b |
26,5ab |
ESM |
0,74 |
1,10 |
1,26 |
5,74 |
p |
0,04 |
0,0007 |
0,0002 |
0,0005 |
abc
La présence de différentes lettres sur la même
colonne indique une |
Il apparait qu’après 24 h d’incubation, Fraxinus angustifolia produit le volume de gaz le plus élevé (31,40 ml/0,2 g MS) et que l’ajout du PEG améliore de 9,10 % cette production (34,23 ml/0,2 g MS). La situation s’inverse pour Acacia dealbata qui produit le volume de gaz le plus faible après 24h d’incubation (7,30 ml/0,2 g MS), cependant, le PEG semble avoir un effet beaucoup plus marqué sur cette espèce dont la production de gaz s’en trouve améliorée de 123 % après ajout du PEG.
Si pour toutes les espèces, le PEG améliore le volume de gaz produit après 24 h d’incubation, il n’en ait pas de même pour Phillyrea angustifolia et Phillyrea latifolia, pour qui l’ajout du PEG s’accompagne plutôt d’une diminution du volume de gaz produit en affichant des taux négatifs (-37,26 et -8,09 % respectivement pour les deux espèces).
La production de méthane en absence de PEG varie de 0,90 ml/0,2 g MS pourAcacia dealbata à 6,72 ml/0,2 g MS pour Phillyrea latifolia, alors qu’elle oscille de 1,74 ml/0,2 g MS pour Acacia dealbata à 11,24 ml/0,2 g MS pour Lavandula stoechas en présence de PEG. Comme pour la situation précédente, l’ajout du PEG a contribué à l’augmentation du volume de méthane qui est la plus importante pour Fraxinus angustifolia (+188,87%) et une diminution de celui-ci, respectivement pour Phillyrea angustifolia (-20%) et Phillyrea latifolia (-73,66%).
Les faibles teneurs en matière sèche (MS) des espèces fourragères seraient probablement imputables à la zone géographique humide dans laquelle ces plantes ont été échantillonnées. Mebirouk-Boudechiche et al (2014) et Cabidu et al (2000) trouvent aussi de faibles teneurs en cet élément pour d’autres ligneux fourragers algériens et méditerranéens, de même Mebirouk-Boudechiche et al (2015) avancent pour les mêmes espèces échantillonnées au printemps des teneurs variables en matière sèche mais tout aussi faibles.
La forte teneur en protéines brutes d’Acacia dealbata par rapport aux autres espèces serait sans doute imputable au fait que c’est une plante légumineuse capable de fixer l'azote atmosphérique grâce aux Rhizobia associés à ses nodosités, et les fourrages légumineux, au même titre que les arbustes ont toujours été employés comme aliments de bétail et surtout comme supplément protéique des fourrages de mauvaise qualité et sous-produits fibreux dans beaucoup de régions du monde, principalement en raison de leur haute teneur en MAT (Ammar et al 2004; Tolera et al 1997). Cependant, l’utilisation des espèces de l’étude doit être envisagé avec précaution du fait que la plupart d’entre elles présentent des teneurs inférieures au niveau minimum requis (7-8% MS) pour un fonctionnement du rumen et une alimentation convenables des ruminants (33), ce qui exigerait une supplémentation en azote afin d’améliorer leur ingestion et digestion par les ruminants du fait qu’ils ne fournissent pas les minima d'azote nécessaire au microbiote ruminal (Paterson et al 1996).
D’autre part, l’utilisation de ces légumineuses doit être envisagée avec précaution car la digestibilité de leur azote, aussi élevé soit –il, par rapport aux autres familles, est dépendante des composés phénoliques et en particuliers les tanins (Tolera et al 1997). Et pour preuve, Acacia dealbata est, statistiquement, l’espèce la plus riche en composés secondaires et en tanins entre autres, et celle ayant l’activité biologique la plus élevée, celle-ci représente la capacité des tanins, et plus spécifiquement des tanins condensés, à se lier aux protéines des fourrages, aux protéines microbiennes ou à celles de la salive (Schneider et Huyghe 2015), ce qui diminuerait leur digestibilité.
Ainsi, de fortes corrélations positives ont été enregistrées entre les tanins totaux, condensés et leurs activités biologiques (r= 0,67 et 0,91 respectivement). Ces tanins condensés auraient un effet inhibiteur sur la croissance des microorganismes du rumen (Mc Sweeney et al 2001). Ainsi, les effets positif ou négatif des tanins totaux dans les feuilles des ligneux fourragers de la présente étude dépend, entre autres, de leur concentration.
L’activité biologique des tanins aurait tendance à varier en fonction des saisons, en effet, celle-ci serait plus élevée pourAcacia dealbata en période printanière qu’en automne (3,56 vs 2,23, respectivement selon les travaux de Mebirouk-Boudechiche et al 2015) et dans la présente étude). Le même constat est observé pourFraxinus angustifolia, Lavandula stoechas et Phillyrea latifolia. Ceci pourrait être expliqué par le fait qu’en période printanière, les arbustes deviennent très prisés par faune, ce qui a pour conséquence d’augmenter leurs teneurs en tanins pour se défendre contre les attaques.
Les feuilles des ligneux fourragers de l’étude sont fortement pourvues en parois totales (NDF, ADF et ADL) qui sont susceptibles de constituer un facteur limitant à leur digestibilité, en effet, la matrice de corrélation a révélé que la teneur en lignine est corrélée négativement à la production de gaz (r= -0,61).
Pour tous les fourrages, le volume de gaz produit augmente au fur et à mesure du temps d’incubation, cependant, cette production de gaz est moins accentuée pour Acacia dealbata en raison sans doute de ses teneurs élevées en facteurs antinutritionnels et en lignine. En effet, la matrice de corrélation a révélé des corrélations négatives entre les teneurs en phénols, tanins totaux, tanins condensés et la production de gaz (-0,60, -0,60 et -0,75, respectivement), de même qu’entre la teneur en lignine et la production de gaz (-0,61), ce qui en fait d’ Acacia dealbata l’espèce qui produit le moins de gaz en fin d’incubation, conséquence d’ une faible digestibilité qui serait due aux complexes résistants que forment les tanins avec les protéines (Barry et Mcnabb 1999) et les fibres (Hervas et al 2003), plus spécifiquement la lignocellulose, en empêchant l’adhésion des microorganismes et la dégradation par le microbiote ruminal. Ces tanins inhiberaient également la dégradation impliqués par des cellulases ou des bactéries cellulolytiques directement en formant des complexes avec des minéraux nécessaires à leur croissance (Hervas et al 2003). Contrairement, Fraxinus angustifolia et Pillyrea latifolia fourniraient, de par leurs valeurs élevées en volume de gaz, le maximum de produits terminaux de la digestion.
La richesse d’Acacia en tanins a aussi été rapportée par Reed et al (1990).
Les différentes évolutions de production de gaz entre espèces seraient probablement imputables à la présence des tanins. Cependant, les résultats de fermentations enregistrées ne concernent que ceux du rumen, ce qui est loin d’être une généralisation de la digestibilité de l'ensemble du tractus digestif. Ainsi, la partie du substrat ayant échappé à la digestion dans le rumen serait fermentée dans le cæcum / côlon, ce que la technique in vitro dans la présente étude ne peut mesurer.
Les faibles volumes de gaz et de méthane, produits finaux de fermentation, enregistrés par Acacia dealbata à 24 h d’incubation, en absence de PEG seraient imputables à la richesse de cette espèce en tanins qui auraient, d’une part, tendance à former des complexes avec les protéines et les fibres, diminuant ainsi la digestibilité de la matière organique (in Doreau et al 2011), et d’autre part à inhiber la production de méthane entérique (Canbolat et al 2005). La saison ne semble pas influencer la production de gaz chez cette espèce (7,34 vs. 7,27, respectivement dans les travaux de Mebirouk-Boudechiche et al (2015) et la présente étude)
Cependant, l’addition du PEG a eu un effet très marqué sur l’augmentation de la production totale de gaz et de méthane pour Acacia dealbata, du fait que c’est une molécule capable de se fixer sur les tannins (in Doreau et al 2011) en les rendant inertes par la formation de complexes PEG-tanins (Makkar et al 1995), en prévenant la formation de complexes protéines-tanins et en libérant ces complexes déjà présents dans le milieu (Barry et Mcnabb 1999).
Cette molécule a aussi eu un effet positif sur la production de gaz et de méthane qui ont augmenté chez la plupart des fourrages suite à son adition et ce, par le même phénomène cité plus haut. Cependant, nous constatons un effet limité du PEG sur la production de gaz de Lavandula stoechas et Fraxinus angustifolia, qui ont enregistré des taux d’augmentation des plus faibles (9,39 et 9,10 % respectivement), en raison sans doute de leurs faibles teneurs en tanins et activités biologiques (1,09 pour chacune). Cette amélioration de la production de gaz in vitro des substrats incubés en présence de PEG a aussi été rapportée par d’autres auteurs pour différents fourrages (Barber et al 1990; Canbolat et al 2005; Rubanza et al 2005; Singh et al 2005).
L’effet dépressif du PEG sur Phillyrea angustifolia etPhillyrea latifolia qui ont affiché des taux négatifs de volumes de gaz et de méthane, fait de ces fourrages d’excellentes plantes anti méthanogènes capables de réduire les pertes d’énergie. Cette situation a aussi été rapportée par Singh et al (2005) qui ont signalé une réduction de la production de gaz, après addition du PEG, chez Leucaenea leucocephala (-18,59%) et pour la paille de riz (-7,39%) après 24 heures d’incubation, par contre Olivares-Palma et al (2013) rapportent l’absence d’effet des tanins pour des aliments contenant du sorgho avec une forte ou faible concentration de tanins sur la production de méthane.
Tableau 5. Effet des tanins sur la production de méthane et de gaz in vitro en présence (+ PEG) et en absence (-PEG) de PEG |
||||||
Espèces |
Production totale de gaz (ml/0,2 g MS) |
Production de méthane CH4 (ml/0,2 g MS) |
||||
- PEG |
+ PEG |
Taux
|
- PEG |
+ PEG |
Taux |
|
Fraxinus angustifolia |
31,4 a |
34,23 a |
9,10 cd |
2,5 e |
7,23 c |
189 a |
Acacia dealbata |
7,27 c |
16,1 b |
123 a |
0,9 f |
1,74 f |
94,0 c |
Lavandula stoechas |
21,4 ab |
23,3 ab |
9,39 cd |
6,19 b |
11,24 a |
81,5 d |
Smilax aspersa |
23.7 ab |
30,90a |
30,1 b |
3,87 d |
5,51 d |
42,4 e |
Phillyrea angustifolia |
26,3 ab |
19,2 ab |
-37,3 f |
4,75 c |
3,8 e |
-20 f |
Phillyrea latifolia |
25,5 ab |
23,4 ab |
-8,09 e |
6,72 a |
1,77 f |
-73,7 g |
ESM |
14,0 |
9,8 |
16,4 |
2,68 |
6,01 |
18,8 |
p |
0,003 |
0,01 |
0,0001 |
0,0001 |
0,0001 |
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abc La présence de différentes lettres sur la même colonne indique une différence significative entre les espèces (p < 0,05). |
Sur la base de cette analyse, les effets variables des tanins sur les plantes dépendent non seulement de leur concentration mais également de leur types et de leurs activités biologiques (Getachew et al 2004; Barry et al 1986). Il en est de même pour le PEG dont l’effet dépendrait principalement de la stéréochimie et de la structure des tanins (Ndolvu et Nherera 1997).
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Received 30 October 2017; Accepted 18 December 2017; Published 1 February 2018