Livestock Research for Rural Development 37 (1) 2025 | LRRD Search | LRRD Misssion | Guide for preparation of papers | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
La présente étude explore la diversité des systèmes d’élevage des dromadaires dans la zone périurbaine de Tahoua, au Niger, afin de mieux comprendre leurs dynamiques et leurs implications socio-économiques. La méthode d’échantillonnage ‘’boule de neige’’ a permis d’atteindre les éleveurs qui ont fait l’objet de l’étude. À partir de données collectées auprès de 88 éleveurs répartis sur quatre zones, une typologie a été élaborée en combinant l’Analyse des Correspondances Multiples et la Classification Ascendante Hiérarchique. Les résultats ont permis de classer les éleveurs en quatre groupes. Le groupe 1 est constitué des éleveurs transhumants adoptant des pratiques semi-intensives avec une dépendance à la complémentation alimentaire et une orientation commerciale. Le groupe 2 regroupe des éleveurs exploitant exclusivement les parcours naturels, sans apport de compléments alimentaires, mais impliqués dans la commercialisation du lait de chamelle. Quant aux groupe 3, il s’agit des éleveurs sédentaires, majoritairement salariés, caractérisés par une gestion professionnelle et une commercialisation intégrale du lait de chamelle. En fin, le groupe 4 des éleveurs pluriactifs et nomades, dont le lait de chamelle est en grande partie autoconsommé. L’analyse statistique révèle que la mobilité, la complémentation alimentaire, la commercialisation du lait de chamelle, l’autoconsommation, la main d’œuvre, les activités secondaires sont les variables les plus discriminantes. L’étude met également en lumière les stratégies innovantes, telles que la location de chamelles, qui permettent de maintenir l’approvisionnement en lait tout au long de l’année, malgré les contraintes environnementales. Ces résultats ouvrent la voie à des recherches approfondies sur les dynamiques de la chaîne d'approvisionnement, les flux économiques entre les acteurs, et les impacts des politiques locales sur la durabilité des systèmes d'élevage camelin.
Mots-clés : bassin laitier, élevage périurbain, système d’élevage, valorisation du lait de chamelle
This study explores the diversity of dromedary farming systems in the peri-urban area of Tahoua, Niger, in order to better understand their dynamics and socio-economic implications. The “snowball” sampling method was used to reach the breeders who were the focus of the study. Based on data collected from 88 breeders across four zones, a typology was developed using a combination of Multiple Correspondence Analysis and Hierarchical Ascending Classification. The results enabled us to classify the farmers into four groups. Group 1 is made up of transhumant breeders adopting semi-intensive practices with a dependence on food supplementation and a commercial orientation. Group 2 is made up of farmers who use natural grazing lands exclusively, without the use of feed supplements, but who are involved in camel milk marketing. Group 3 is made up of sedentary breeders, mostly salaried, characterized by professional management and full marketing of camel milk. Finally, group 4 is made up of multi-active, nomadic breeders whose camel milk is largely self-consumed. Statistical analysis reveals that mobility, food supplementation, camel milk marketing, self-consumption, labor and secondary activities are the most discriminating variables. The study also highlights innovative strategies, such as camel leasing, that enable milk supplies to be maintained throughout the year, despite environmental constraints. These results pave the way for further research into the dynamics of the supply chain, economic flows between actors, and the impacts of local policies on the sustainability of camel farming systems.
Keywords: breeding system, camel milk valorization. dairy basin, peri-urban livestock farming
Au Niger, l’élevage constitue une des principales activités socio-économiques impliquant 87 % de la population (Aboubacar etal 2017). Le pays compte principalement trois systèmes de production animale : pastoral, agro-pastoral, et périurbain, chacun comportant plusieurs sous-systèmes extensifs et semi-intensif, tandis que l’élevage intensif reste marginal (Marichatou et al 2005 ; Ousseini 2018).
Le dromadaire est une des espèces emblématiques élevées au Niger présent dans toutes les régions avec un effectif estimé à 1 882 961 en 2021(Institut National de la Statistique 2022). La région de Tahoua en abrite le plus grand nombre avec environ 575 695 têtes, soit 31 % de l’effectif national (Direction Régionale de l’Institut National de la Statistique 2022). Longtemps majoritairement pastoral, l’élevage camelin connaît aujourd’hui une sédentarisation autour des centres urbains, favorisée par les opportunités de commercialisation du lait et la valorisation des produits laitiers camelins (Vias Franck etal 2003 ; Chaibou 2005 ; Moustafa et Tahirou 2013). Cette émergence de l’élevage camelin périurbain, largement décrite dans la littérature scientifique depuis deux décennies au moins dans les pays du Sud (Guerin et Faye 1999 cités par Faye 2019), intègrant progressivement les producteurs dans les circuits de marché. Le commerce du lait de chamelle s’est intensifié, motivé d’une part, par des défis socio-économiques et l’évolution des mentalités et d’autre part, par une demande en lait de chamelle croissante soutenue par une démographie rapide et une urbanisation accrue qui encouragent la sédentarisation des animaux productifs pour l’approvisionnement des villes (Faye, Bengoumi et Barkat 2003 ; Faye 2019).
La ville de Tahoua, chef-lieu de la région éponyme, illustre bien cette dynamique avec l’installation des éleveurs dans la zone périphérique. Malgré l’importance de l’élevage camelin dans la zone, les études sur l’élevage camelin restent rares, limitant la connaissance des spécificités locales et des stratégies adoptées par les éleveurs. Dans ce contexte de mutation de l’élevage camelin, marqué par l’incertitude, une connaissance approfondie de la diversité des systèmes laitiers camelin et de leur capacité à répondre à une demande en constante augmentation devient indispensable. Cette étude vise ainsi à combler cette lacune en proposant une typologie des élevages camelins dans la zone périurbaine de Tahoua afin de mieux comprendre la dynamique actuelle et ses répercussions sur la chaîne d’approvisionnement en lait de chamelle. Il s’agit spécifiquement : 1) d’établir une typologie des systèmes d’élevage camelin pour identifier les groupes distincts d’éleveurs et 2) de caractériser les pratiques d’élevage camelin selon les groupes identifiés.
L’étude s’est déroulée dans la zone périurbaine de la ville de Tahoua, chef-lieu de la région de Tahoua au Niger. La ville de Tahoua est située entre le 5° 02’’ et 5°23’ de longitude Est et le 14°45 et le 15°01’ de latitude Nord (figure 1).
Un premier travail de délimitation du bassin laitier a été fait sur la base de la définition officielle du bassin laitier admise au Niger. Le bassin laitier est défini en ces termes : «On peut considérer comme bassin laitier d’une localité donnée la zone constituée par l’ensemble des unités de production de lait à partir desquelles une ville est approvisionnée.» (Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage 2020). Quatre sources d’informations ont permis d’identifier les sites des éleveurs : Les discussions avec les experts et structures locaux du domaine de l’élevage camelin, les enquêtes auprès des collecteurs du lait, la mission de terrain pour le géoréférencement des sites et l’exploitations des données du Répertoire National des Localités du Niger (ReNaLoc) (Institut National de la Statistique 2014) pour la confirmation et la vérification des noms officiels des localités.
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Figure 1. Situation géographique de la zone d’étude et des sites des éleveurs chameliers autour de la ville de Tahoua |
Le bassin se situe dans la zone sahélienne entre les isohyètes 300 et 400mm. La collecte et l’acheminement du lait de chamelle s’effectue exclusivement sur un rayon de 35 km dans cette zone. 28 sites ont été identifiés repartis sur 2 communes rurales et 2 arrondissements communaux (Tahoua 1 et Tahoua 2) formant la ville de Tahoua. La majorité des sites sont concentrés dans les deux arrondissements communaux (14 sites) et la commune de Kalfou (10 sites). Les éleveurs sont pour la plupart installés dans des vallées ceinturant la ville, plus ou moins riches en ressources naturelles notamment ligneuses.
La répartition géographique des éleveurs autour de la ville de Tahoua a été mise en avant, pour prendre en compte la diversité des élevages dans les 4 points cardinaux. De plus, une grande partie des éleveurs appartiennent à des structures paysannes. Ces derniers s’identifient surtout à travers leur appartenance à la commune dans laquelle ils sont installés. Sur cette base nous avons établi un zonage pour regrouper les éleveurs selon leur commune. Quatre (4) zones ont été définies à savoir Tahoua 1 (Zone 1), Tahoua 2 (Zone 2), Kalfou (Zone 3) et Affala (Zone 4).
Ne disposant d’aucune base statistique sur le nombre d’éleveurs dans la zone périurbaine, la méthode de collecte de « boule de neige » a permis d’atteindre les éleveurs dans les 4 zones. Les enquêtes ont été réalisées sur des exploitations familiales. En termes d’effectif, l’enquête a concerné 88 éleveurs pour un effectif de dromadaires de 1527 têtes. 43 éleveurs ont été enquêtés dans la zone 1, 15 dans la zone 2, 17 dans la zone 3 et 13 dans la zone 4.
Deux principales étapes caractérisent la collecte des données : Une collecte des données de préliminaire sur la base d’un guide d’entretien semi-directif pour cerner les questions centrales de l’élevage camelin autour de la ville de Tahoua. Les entretiens qualitatifs ont permis de franchir la deuxième étape qui est celle d’élaboration d’un questionnaire d’enquête. Le questionnaire d’enquête a été structuré en sections abordant chacune une thématique spécifique à la conduite de l’élevage camelin et aux activités socioéconomiques des éleveurs. Les troupeaux ont été repérés avec l’appui des collecteurs. Les données d’enquête ont été collectées sur KoboCollect.
Les analyses univariées ont permis de décrire les caractéristiques sociodémographiques des éleveurs camélins et la composition des troupeaux dans les différentes zones d’étude, en mettant en évidence les répartitions par groupe ethnique, genre, âge, niveau d’instruction, ainsi que les moyennes et écarts types pour les effectifs de dromadaires et autres espèces animales présentes dans les troupeaux.
Pour établir la typologie des élevages camelins, une analyse multivariée a été réalisée en combinant l'analyse des correspondances multiples (ACM) et la classification ascendante hiérarchique (CAH), permettant de distinguer des groupes homogènes. Pour ce faire, 25 variables actives et une variable supplémentaire pertinentes ont été sélectionnées (tableau 1). Elles sont liées à des aspects clés de l'élevage camelin, tels que les activités socioéconomiques des éleveurs, la main-d'œuvre, les systèmes et les types d’élevage, la mobilité des troupeaux, la composition des troupeaux, la complémentation alimentaire, la mortalité, l’avortement, ainsi que la transformation et la commercialisation. Par la suite, les variables et les modalités ont été codifiées et, pour les variables à choix multiples, de nouvelles variables ont été créées regroupant les modalités. Les variables quantitatives ont été transformées en qualitatives en les classant en différentes catégories afin de faciliter leur intégration dans l'ACM.
Pour la description des classes typologiques issues de la CAH, un test khi-deux a permis de mettre en évidence les modalités des variables significativement associées à chaque classe.
Les modalités des variables ont été considérées comme significatives si leur valeur test est supérieure à 1,96, et une p. value inférieure à 0,05.
Les analyses statistiques ont été réalisées à l'aide des logiciels Excel 2019 et de R avec les packages FactoMineR (version 2.11) et Factoshiny (version 2.6) pour les analyses et multivariées.
Tableau 1 : Description générale des variables et leurs modalités utilisées dans la typologie des élevages camelins autour de la ville de Tahoua |
|||||
Code variable |
Variable active |
Modalité |
Effectif éleveurs |
Réponses (%) |
|
ActP |
Activité Principale |
1 Agriculture (AgrP) |
1 |
1,14 |
|
2 Commerce (ComP) |
1 |
1,14 |
|||
3 Elevage (ElP) |
86 |
97,73 |
|||
ActS |
Activité Secondaire |
1 Agriculture (AgrS) |
30 |
34,09 |
|
2 Aucune activité secondaire (AucS) |
50 |
56,82 |
|||
3 Commerce (ComS) |
5 |
5,68 |
|||
4 Elevage (ElS) |
1 |
1,14 |
|||
5 Travail journalier (TrJS) |
2 |
2,27 |
|||
MOS |
Main d’œuvre salarié |
1 Pas de salariés (0S) |
28 |
31,82 |
|
2 1à2 salariés (1-2S) |
42 |
47,73 |
|||
3 3à4 salariés (3-4S) |
14 |
15,91 |
|||
4 Plus de 4 salariés (4S+) |
4 |
4,55 |
|||
MOF |
Main d’œuvre familiale |
1 Pas de main d’œuvre familiale (0F) |
21 |
23,86 |
|
2 1à2 MO familiale (1-2F) |
57 |
64,77 |
|||
3 2à4 MO familiale (2-4F) |
7 |
7,95 |
|||
4 Plus de 4 MO familiale (4F+) |
3 |
3,41 |
|||
StatElv |
Statut de l’éleveur |
1 Membre de la famille non salarié (Nsal) |
26 |
29,55 |
|
2 Propriétaire (Prop) |
31 |
35,23 |
|||
3 Salarié (Sal) |
31 |
35,23 |
|||
EffT |
Effectif total des animaux dans le troupeau |
1 Mois de 50 têtes (EffTT-50) |
45 |
51,14 |
|
2 De 50 à 100 têtes (EffT 50-100) |
24 |
27,27 |
|||
3 De 100 à 150 têtes (EffT100-150) |
11 |
12,5 |
|||
4 De 151 à 200 têtes (EffT151-200) |
5 |
5,68 |
|||
5 Plus de 200 têtes (EffT200+) |
3 |
3,41 |
|||
EfDrm |
Effectif des dromadaires dans le troupeau |
1 1à20 dromadaires (EfDrm_1_20) |
61 |
69,32 |
|
2 21à50 dromadaires (EfDrm_21_50) |
25 |
28,41 |
|||
3 51à70 dromadaires (EfDrm_51_70) |
2 |
2,27 |
|||
FemT |
Femelles traites |
1 FemT5-10 |
27 |
30,68 |
|
2 FemT0-5 |
55 |
62,5 |
|||
3 FemT10+ |
6 |
6,82 |
|||
TypT |
Type de troupeau |
1 Dromadaire seul (DroS) |
9 |
10,23 |
|
2 Troupeau mixte (Mixt) |
79 |
89,77 |
|||
Mobilité des troupeaux |
1 Transhumance exclusive (TransT) |
55 |
62,5 |
||
2 Semi-Transhumance (TransP) |
7 |
7,95 |
|||
3 Nomadisme (Nmad) |
14 |
15,91 |
|||
4 Sédentarisme (Sdent) |
12 |
13,64 |
|||
TyEl |
Type d’élevage |
1 Extensif (Sext) |
8 |
9,09 |
|
2 Semi-intensif (Sint) |
80 |
90,91 |
|||
PrTDLP |
Pratique de transhumance dans le passé |
1 Pratiqué actuellement (JPETT) |
55 |
62,5 |
|
2 Pratique_Non (PrTDLP_N) |
15 |
17,05 |
|||
3 Pratique_Oui (PrTDLP_O) |
18 |
20,45 |
|||
RSysA |
Raisons de la pratique du système d’élevage pratiqué |
1 E |
12 |
13,64 |
|
2 E+S |
26 |
29,55 |
|||
3 Rcl |
2 |
2,27 |
|||
4 Rcl+E |
23 |
26,14 |
|||
5 Rcl+E+S |
24 |
27,27 |
|||
6 Rcl+S |
1 |
1,14 |
|||
FeqD |
Fréquence de Déplacement |
1 Aucun déplacement (FrqAD) |
12 |
13,64 |
|
2 Chaque année (FrqCA) |
69 |
78,41 |
|||
3 Chaque semestre (FrqCS) |
7 |
7,96 |
|||
PraComp |
Pratique de la complémentation |
1 Complémentation_Non (PraC_N) |
11 |
12,5 |
|
2 Complémentation_Oui (PraC_O) |
77 |
87,5 |
|||
SaiComp |
Saison de la complémentation |
1 Pas de complément (PC) |
11 |
12,5 |
|
2 Saison de pluie (SaisCSP) |
1 |
1,14 |
|||
3 Saison sèche (SaisCSS) |
67 |
76,14 |
|||
4 Toute l’année (SaisCTA) |
9 |
10,23 |
|||
TransL |
Transformation du lait de chamelle |
1 Transformation_Non (TransL_N) |
43 |
48,86 |
|
2 Transformation_Oui (TransL_O) |
45 |
51,14 |
|||
AutCL |
Autoconsommation du lait de chamelle |
1 30% autoconsommé (30%AC) |
40 |
45,45 |
|
2 70% autoconsommé (70%AC) |
25 |
28,41 |
|||
3 80% autoconsommé (80%AC) |
3 |
3,41 |
|||
4 100% autoconsommé (100%AC) |
20 |
22,73 |
|||
DonL |
Don du lait de chamelle |
1 Don du lait_Non (DonL_N) |
14 |
15,91 |
|
2 Don du lait_Oui (DonL_O) |
74 |
84,09 |
|||
ComL |
Commercialisation du lait de chamelle |
1 Commercialiation_Non (ComL_N) |
33 |
37,5 |
|
2 Commercialisation_Oui (ComL_O) |
55 |
62,5 |
|||
Avort |
Avortement |
1 Avortement_Non (Av_N) |
12 |
13,64 |
|
2 Avortement_Oui (Av_O) |
76 |
86,36 |
|||
MortNN |
Mortalité de nouveaux nés |
1 Nouveaux nés_Non (MortNN_N) |
37 |
42,05 |
|
2 Nouveaux nés_Oui (MortNN_O) |
51 |
57,95 |
|||
MortJ |
Mortalité des jeunes |
1 Jeunes_Non (MortJ_N) |
41 |
46,59 |
|
2 Jeunes_Oui (MortJ_O) |
47 |
53,41 |
|||
MortA |
Mortalité des adultes |
1 Adultes_Non (MortA_N) |
35 |
39,77 |
|
2 Adultes_Oui (MortA_O) |
53 |
60,23 |
|||
Variable supplémentaire |
|||||
Loc |
Localisation |
1 Commune Tahoua 1 (T1-Zone 1) |
43 |
48,86 |
|
2 Commune Tahoua 2 (T2-Zone 2) |
15 |
17,05 |
|||
3 Commune Kalfou (KAL-Zone 3) |
17 |
19,32 |
|||
4 Commune Affala (AFF-Zone 4) |
13 |
14,77 |
|||
Les données d’enquête montrent que l’élevage camelin est pratiqué majoritairement par l’ethnie Touareg. En effet sur l’ensemble d’échantillon (88 éleveurs), 81 éleveurs soit 92% sont des Touaregs contre 6% des Peuls et 2% des Haoussas, parmi lesquels 6% sont des femmes. L’âge des éleveurs est compris entre 15 et 73 ans avec une moyenne globale de 34±15. La plupart des éleveurs enquêtés (51%) sont des jeunes avec des âges compris entre 18 et 35 ans. Concernant le niveau d’instruction, la majorité des éleveurs (n=68) ont fait uniquement des études islamiques.
Les troupeaux sont en grande partie mixtes avec des effectifs variant selon les zones. Le nombre de dromadaires par troupeau (tableau 2) varie entre les zones, reflétant des dynamiques locales distinctes. La Zone 4 se distingue par une moyenne élevée (30) et une médiane égale 30. En revanche, les zones 1, 2 et 3 présentent des moyennes plus faibles, respectivement 14, 11 et 12, accompagnées de médianes de 10, 8 et 12, indiquant une prédominance de troupeaux camelins plus petits. Les écarts-types, allant de 10 à 16, révèlent une forte variabilité, particulièrement marquée dans la Zone 4 (16) et modérée dans les autres zones (10 à 11).
Tableau 2 : Description des effectifs de dromadaires par troupeau |
|||||
Zone |
Minimum |
Maximum |
Moyenne |
Médiane |
Ecart type |
Zone 1 |
2 |
50 |
14 |
10 |
11 |
Zone 2 |
1 |
30 |
11 |
8 |
10 |
Zone 3 |
1 |
40 |
12 |
12 |
11 |
Zone 4 |
5 |
50 |
30 |
30 |
16 |
Pour les autres espèces présentes dans les troupeaux, les caprins sont les plus présents avec une présence significative chez 86 % des éleveurs, soulignant leur importance dans les troupeaux. Les ovins sont également bien représentés avec 58 % des éleveurs en possédant, tandis que les asins (53 %) sont souvent utilisés comme animaux de travail. Les bovins, avec seulement 30 % des éleveurs, sont moins courants, et les équins sont les moins représentés, avec seulement 11 % des éleveurs déclarant en posséder, indiquant une faible présence dans la zone d’étude.
Une Analyse des Correspondances Multiples (ACM) a été réalisée afin de synthétiser les informations issues des variables catégorielles et de mettre en évidence les axes principaux expliquant la variabilité des données. Les coordonnées des individus sur ces axes ont ensuite été utilisées pour effectuer une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH) visant à regrouper les systèmes d'élevage en typologies homogènes. Pour des raisons de concision, seuls les résultats de la CAH, fondés sur les axes significatifs issus de l'ACM, sont présentés dans cet article. Ainsi, la CAH lancée à partir de 5 axes factoriels de l’ACM a permis de classer les individus en 4 groupes principaux (figure 2).
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Figure 2. Arbre hiérarchique de la CAH |
Après avoir effectué une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH) sur les données, la visualisation des individus sur les plans factoriels permet de mieux comprendre la répartition des groupes obtenus. Chaque axe factoriel représente une combinaison linéaire des variables, expliquant une part de l'inertie totale du nuage de points. Traditionnellement, les axes 1 et 2 sont choisis pour représenter les groupes, car ils expliquent souvent la plus grande part de variance. Dans le cas présent, les groupes 3 et 4, qui se chevauchent sur le plan de l'axe 1 et l'axe 2 (figure 3), sont nettement mieux séparés sur l'axe 1 et l'axe 3 (figure 4). Les figure 3 et 4 offrent une meilleure distinction visuelle entre les groupes.
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Figure 3. Projection des individus sur les dimensions 1 et 2 | Figure 4. Projection des individus sur les dimensions 1 et 3 |
La CAH a permis d’identifier 4 groupes d’élevage. Un accent a été mis sur les modalités des variables fortement discriminantes pour décrire les groupes (tableau 3).
Groupe 1 « Eleveurs transhumants pratiquant la complémentation alimentaire et orientés vers la commercialisation du lait de chamelle : Le groupe 1 est constitué de 50 éleveurs (n=50) soit 57% des élevages enquêtés. Ces éleveurs sont repartis dans toutes les 4 zones de l’étude à savoir Affala (20%), Kalfou (28%), Tahoua 1 (24%) et Tahoua 2 (28%). Ce groupe est caractérisé par près de 96% des éleveurs transhumants pratiquant leur déplacement chaque année vers le Nord constituant la zone pastorale définie par la loi. En termes d’effectif total des espèces dans les troupeaux varient fortement d’une zone à une autre. Cependant 60% des troupeaux sont constitués de 1 à 20 dromadaires et 51% de 0 à 5 chamelles traites. Le motif de leur mobilité est surtout culturel mais aussi la recherche des points d’eau et la sécurité. 98% des éleveurs pratique un élevage semi-intensif en apportant des compléments alimentaires aux animaux. La transformation du lait de chamelle en lait caillé est faiblement pratiquée dans ce groupe (28%). En revanche, la commercialisation du lait de chamelle est pratiquée par 73% des éleveurs. En termes de main d’œuvre, les éleveurs (61%) font appel aux salariés pour combler le déficit. Certains élevages (36%) utilisent exclusivement des salariés.
Groupe 2 « Eleveurs ne pratiquant pas la complémentation alimentaire : Le deuxième groupe est constitué de 9 éleveurs (n=9) soit 10 de l’échantillon de l’étude. Ce groupe est représenté dans deux des 4 zones de l’enquête à savoir Affala (33%) et Tahoua 1 (67%). Les effectifs des animaux au sein de ces élevages sont compris entre 50 et 100 têtes pour 66% de élevages. Pour tous les éleveurs de ce groupe (100%) l’alimentation des animaux est basée exclusivement sur l’exploitation du parcours naturel, sans apport de compléments alimentaires. Par ailleurs, 66% des éleveurs de ce groupe s’appuient uniquement sur la main d’œuvre familiale.
Groupe 3 « Eleveurs sédentaires pour la plupart mono-actifs » : Le troisième groupe est caractérisé par 14 élevages (n=14) dont 79% localisés dans Tahoua 1. Au sein de ce groupe, les troupeaux sont constitués de moins de 50 têtes toutes espèces confondues sont gérés pour la plupart par des éleveurs salariés. On y trouve des élevages purement dromadaires (35%). La plupart des éleveurs de ce groupe (71%) n’ont jamais pratiqué la transhumance dans le passé. La sécuritaire, l’accès à l’alimentation et aussi la culture sont les principales raisons de leur sédentarité. Les éleveurs sont surtout des salariés (77%) mais également des propriétaires qui gèrent leurs troupeaux. L’élevage constitue l’unique activité de 85% des éleveurs. Dans tous ces élevages la commercialisation du lait de chamelle est pratiquée. Quant à la transformation du lait de chamelle, 93 % le font uniquement pour la consommation de leurs ménages.
Groupe 4 « Agro-éleveurs nomades, pluriactifs dont le lait est en grande partie autoconsommé » : Le quatrième groupe est constitué de 15 éleveurs (n=15) en grande partie localisés dans Tahoua 1 (87%). Au sein de ce groupe, 93% des troupeaux sont constitués de moins de 50 têtes toutes espèces confondues avec 0 à 5 chamelles traites, les effectifs de dromadaires étant compris entre 1 et 20 têtes pour 100% des éleveurs avec 0 à 5 chamelles traites. Les éleveurs en grande partie des nomades (62%), pratiquent l’agriculture comme activité secondaire. 68% éleveurs pratiquaient la transhumance mais ont adopté par la suite le nomadisme pour des raisons alimentaires et sécuritaires. Cependant 25% pratiquent la semi-transhumance consistant à envoyer une partie du troupeau en transhumance. La commercialisation du lait est faiblement pratiquée dans ce groupe (12%). Le lait de chamelle est totalement autoconsommé et/ou donné gratuitement, frais ou caillé, pour 81% des éleveurs de ce groupe. La plupart des éleveurs 62% sont propriétaires et 75% utilisent uniquement les membres de la famille comme main d’œuvre contre 25% utilisant 1 à 2 salariés.
Tableau 3 : Résultats du test khi deux entre les variables de groupe et les modalités |
|||
Groupe typologique |
Modalités |
Fréquence de la modalité |
v.test |
Groupe 1 (n=50 éleveurs) |
TransT |
95.92 |
7.55*+ |
FrqCA |
100.00 |
5.77*+ |
|
TransL_N |
71.43 |
4.76*+ |
|
Rcl+E |
44.90 |
4.72*+ |
|
PraC_O |
100.00 |
4.04*+ |
|
T2 |
28.57 |
3.31*+ |
|
0F |
36.73 |
3.20* |
|
1-2S |
61.22 |
2.80* |
|
EffT100-150 |
20.41 |
2.52* |
|
Sint |
97.96 |
2.47* |
|
ComL_O |
73.47 |
2.33* |
|
FemT10+ |
12.24 |
2.23* |
|
DonL_O |
91.84 |
2.14* |
|
Mixt |
95.92 |
2.02* |
|
ComS |
10.20 |
1.97* |
|
DroS |
4.08 |
-2.02* |
|
DonL_N |
8.16 |
-2.14* |
|
ComL_N |
26.53 |
-2.33* |
|
FemT0-5 |
51.02 |
-2.46* |
|
SExt |
2.04 |
-2.47* |
|
1-2F |
53.06 |
-2.55* |
|
FrqCS |
0.00 |
-3.03* |
|
Rcl+E+S |
12.24 |
-3.48*+ |
|
100%AC |
8.16 |
-3.59*+ |
|
EffTT-50 |
32.65 |
-3.86*+ |
|
0S |
14.29 |
-3.90*+ |
|
PraC_N |
0.00 |
-4.04*+ |
|
PrTDLP_N |
2.04 |
-4.22*+ |
|
Sdent |
0.00 |
-4.28*+ |
|
Nmad |
0.00 |
-4.72*+ |
|
TransL_O |
28.57 |
-4.76*+ |
|
PrTDLP_O |
2.04 |
-4.88*+ |
|
T1 |
24.49 |
-5.15*+ |
|
Groupe 2 (n= 9 éleveurs) |
PraC_N |
100.00 |
6.47*+ |
SExt |
100.00 |
4.61*+ |
|
EffT 50-100 |
66.67 |
2.50*+ |
|
1-2F |
100.00 |
2.41* |
|
0S |
66.67 |
2.16* |
|
Sint |
0.00 |
-4.61*+ |
|
SaisCSS |
0.00 |
-5.02*+ |
|
PraC_O |
0.00 |
-6.47*+ |
|
Groupe 3 (n= 14 éleveurs) |
Sdent |
78.57 |
6.42*+ |
PrTDLP_N |
71.43 |
5.01*+ |
|
Rcl+E+S |
71.43 |
3.69*+ |
|
TransL_O |
92.86 |
3.46*+ |
|
ComL_O |
100.00 |
3.40*+ |
|
Sal |
71.43 |
2.91* |
|
DroS |
35.71 |
2.82* |
|
AucS |
85.71 |
2.37* |
|
T1 |
78.57 |
2.37* |
|
EffTT-50 |
78.57 |
2.19* |
|
30%AC |
71.43 |
2.05* |
|
AgrS |
7.14 |
-2.37* |
|
Prop |
7.14 |
-2.45* |
|
Rcl+E |
0.00 |
-2.59* |
|
Mixt |
64.29 |
-2.82* |
|
ComL_N |
0.00 |
-3.40*+ |
|
TransL_N |
7.14 |
-3.46*+ |
|
TransT |
0.00 |
-5.28*+ |
|
FrqCA |
0.00 |
-7.05*+ |
|
Groupe 4 (n= 15 éleveurs) |
100%AC |
81.25 |
5.55*+ |
Nmad |
62.50 |
4.83*+ |
|
PrTDLP_O |
68.75 |
4.68*+ |
|
ComL_N |
87.50 |
4.44*+ |
|
AgrS |
81.25 |
4.18*+ |
|
EffTT-50 |
93.75 |
3.86*+ |
|
0S |
75.00 |
3.84*+ |
|
FemT0-5 |
100.00 |
3.71*+ |
|
T1 |
87.50 |
3.42*+ |
|
EfDrm_1_20 |
100.00 |
3.19* |
|
DonL_N |
43.75 |
2.94* |
|
TransL_O |
81.25 |
2.63* |
|
MortJ_N |
75.00 |
2.45* |
|
E+S |
56.25 |
2.41* |
|
Prop |
62.50 |
2.39* |
|
TransP |
25.00 |
2.31* |
|
2-4F |
25.00 |
2.31* |
|
MortNN_N |
68.75 |
2.30* |
|
T2 |
0.00 |
-2.09* |
|
70%AC |
6.25 |
-2.22* |
|
MortNN_O |
31.25 |
-2.30* |
|
MortJ_O |
25.00 |
-2.45* |
|
1-2S |
18.75 |
-2.54* |
|
TransL_N |
18.75 |
-2.63* |
|
0F |
0.00 |
-2.66* |
|
Rcl+E |
0.00 |
-2.84* |
|
EffT 50-100 |
0.00 |
-2.93* |
|
DonL_O |
56.25 |
-2.94* |
|
30%AC |
12.50 |
-2.94* |
|
EfDrm_21_50 |
0.00 |
-3.02* |
|
FemT5-10 |
0.00 |
-3.19* |
|
AucS |
18.75 |
-3.32*+ |
|
ComL_O |
12.50 |
-4.44*+ |
|
JPETT |
12.50 |
-4.44*+ |
|
TransT |
12.50 |
-4.44*+ |
|
Test khi deux *p <0,05 Si |v.test| ≥ 1,96, la modalité caractérise la classe + valeur test fortement significative Si |v.test| ≥ 3,29 Les modalités en gras ont permis de caractériser les groupes |
Le diagnostic des systèmes d’élevage en général met en évidence les caractéristiques essentielles des troupeaux (Dollé 1984). La typologie est un outil utilisé pour le diagnostic des systèmes d’élevage pour comprendre l'organisation, les pratiques et les stratégies des éleveurs (Abdallah et Faye 2013). Cette méthode basée sur des enquêtes fait souvent appel à des analyses statistiques multivariées qui s’avèrent très adaptées car elles permettent de mettre en relief des systèmes de relations entre variables difficiles ou impossibles à percevoir avec les méthodes descriptives classiques (Messad 2008).
La présente étude a mis en évidence la diversité des élevages camelins dans la zone périphérique de la ville de Tahoua, et s’est déroulée dans le contexte sahélien où l’élevage camelin joue un rôle socio-économique important. Malgré cette importance, les études sur la typologie de ces systèmes d’élevage demeurent rares. Au Niger, en particulier, peu d’études ont exploré la diversité des pratiques d’élevage camelin et les dynamiques qui en découlent. La dernière étude date de 2005 dans la zone périphérique de la ville d’Agadez (Chaibou et Faye 2005).
L’élevage des dromadaires est majoritairement dominé par les Touaregs, représentant 92 % des éleveurs, tandis que les Peuls et les Haoussas représentent une faible minorité, avec respectivement 6 % et 2 %. Cette tendance s'aligne avec les données de (Chaibou et Faye 2005), où tous les troupeaux étaient également détenus par des pasteurs Touaregs, indiquant une continuité de ce modèle ethnique dans l'élevage camelin.Aussi, il est à noter que la majorité des éleveurs sont jeunes, avec une moyenne d'âge de 34 ± 15 ans, et que 51 % des éleveurs sont âgés entre 18 et 35 ans. Ce profil démographique, ainsi reflètent une structure pastorale où les jeunes, souvent peu instruits, perpétuent un modèle d’élevage mixte ancré dans la culture touarègue.
Dans la dynamique de l’élevage camelin, les éleveurs diversifient leurs activités et donc leurs sources de revenus en s’adonnant à des activités agricoles notamment les cultures pluviales et maraichères et autres activités journalières. Cette pratique n’est pas l’apanage des sédentaires. Ces caractéristiques sont représentatives du groupe 4 de la typologie où les éleveurs, principalement des nomades pratique l’agriculture comme activité complémentaire. Cette combinaison de l’élevage camelin à d’autres activités a été rapportée en Afrique sahélienne notamment au Mali (Bara et al 2020), en Mauritanie (Biya et al 2021), mais aussi au Maroc (Michel et al 1997), en Algérie (Adamou 2008 ; Semaoune et Senoussi 2019), en Tunisie (Salmi et al 2016 ; Kamili et al 2020) et en Arabie Saoudite (Abdallah et Faye 2013).
La composition des troupeaux étudiés montre un caractère majoritairement mixte (92%), associant diverses espèces aux dromadaires. Ce modèle d’élevage répond aux besoins des éleveurs, surtout dans des régions où les conditions environnementales et économiques sont difficiles comme c’est le cas de la zone d’étude. Les petits ruminants (ovins, caprins) sont souvent considérés comme un capital facilement mobilisable pour satisfaire les besoins les plus urgents des ménages. Les bovins et les équins sont moins fréquents, avec respectivement 30 % et 11 % des éleveurs en possédant. Cela s’explique d’une part par leur faible valeur économique et culturelle au sein de la communauté touarègue, mais aussi le cout élevé de leur entretien dans des conditions arides et semi-arides. Cette mixité des espèces dans les troupeaux est présente dans tous les 4 groupes définis par la CAH, les troupeaux purs dromadaires ne constituent que 8%. Cette tendance a été observée par Faye (1992) dans la corne de l’Afrique depuis trois décennies, soulignant que dans beaucoup des cas, les troupeaux camelins sont constitués d’espèces diverses. Selon Faye, Vias Franck et Chaibou (2013) une des raisons fondamentales de la diversification des espèces dans les troupeaux camelins est l’adaptation aux risques climatiques et sanitaires.
L’organisation des hommes autour des troupeaux chez les éleveurs camelins montre une structure bien établie, où chaque membre de la famille, y compris les enfants, joue un rôle essentiel dès le plus jeune âge. Les enfants sont initiés aux tâches liées à l'élevage, comme la traite, en travaillant aux côtés des adultes. Les troupeaux sont gérés à la fois par les membres de la famille et des salariés, ce dernier intervenant pour combler le déficit de la main d’œuvre familiale. Comme le soulignent Chaibou et Faye (2005), la surveillance des troupeaux n’est pas très intense pour les dromadaires dans le contexte d’Agadez mais contrairement à la zone périphérique de Tahoua où le vol des animaux est devenu une monnaie courante, l’intensification de suivi régulier des animaux fait que les propriétaires des dromadaires ont beaucoup plus besoin d’une main d’œuvre suffisante pour assurer leur sécurité. Dans cette gestion, le chef de ménage joue un rôle clé dans la prise de décision concernant la mobilité, la vente des animaux et des sous-produits (lait, urine etc.). Les troupeaux sont souvent conduits par les propriétaires et dans certains cas parfois confiés à des salariés que ça soit sur place ou en cas de transhumance.
L’échantillon de la présente étude montre que la mobilité reste une composante importante pour la majorité des éleveurs, avec un accent particulier sur la transhumance. Deux types de transhumance sont pratiqués dans la zone : la transhumance totale pratiquées par 62 % des éleveurs, où l'ensemble du troupeau est déplacé vers le nord avec toute la famille, à l'exception des vieillards, et la transhumance partielle ou semi-transhumance (8% des éleveurs), où une partie des animaux, notamment les chamelles en lactation ou prêtes à mettre bas, reste près de la ville pour assurer la production laitière, destinée à la consommation et à la vente, permettant ainsi de diversifier les sources de revenus. En outre, 16 % des éleveurs sont nomades, tandis que les sédentaires, qui adoptent un mode de vie fixe, en constituent 14 %.
La mobilité des troupeaux est une stratégie phare des éleveurs chameliers dans la zone périurbaine de Tahoua pour combler le déficit alimentaire mais aussi perpétuer les valeurs culturelles avec notamment la participation à des évènements annuels comme la cure salée qui se tient dans le nord du Niger précisément à Ingal. Selon plusieurs études typologiques au Niger (Chaibou et Faye 2005), au Mali (Alassane et al 2022), en Algérie (Semaoune et Senoussi 2019), au Maroc (Michel et al 1997 ; Kamili et al 2020), en Mauritanie (Biya et al 2021), la mobilité des troupeaux demeure la principale stratégie des éleveurs chameliers. Cependant la tendance vers la périurbanisation, se dessine de façon continue dans la zone périphérique de Tahoua avec de nouvelles stratégies d’adaptation au contexte écologique et socio-économique difficile notamment la semi-transhumance en gardant les femelles productives pour la production et la vente du lait de chamelle. Selon Faye (2019), plusieurs facteurs soutiennent cette périurbanisation de l’élevage camelin dans les pays du Sud notamment l’augmentation croissante des populations urbaines et leurs niveaux de vie, les changements climatiques marqués par des sécheresses récurrentes et surtout pour le cas spécifique du lait de chamelle, les considérations thérapeutiques du lait de chamelle constituant un moteur supplémentaire à la concentration de la production autour des centres urbains.
Dans la zone périurbaine de Tahoua, cette dynamique est renforcée par la pratique de « location des chamelles », qui permet aux éleveurs d’exploiter les chamelles louées pour la production laitière moyennant une somme mensuelle versée au propriétaire selon une clé de répartition bien établie entre le locataire, le propriétaire et la chamelle. Ce système, soutenu par la confiance entre les acteurs, implique davantage les éleveurs dans la production laitière en leur offrant une solution pour augmenter temporairement leur capacité de production sans nécessiter de lourds investissements initiaux.
La supplémentation alimentaire repose sur trois considérations : la disponibilité de sous-produits selon l’attractivités des prix, les contraintes sur les ressources pastorales et les opportunités de vente du lait pour accroître la productivité des chamelles en lactation (Kamili et al 2020). Dans la zone périurbaine de la ville de Tahoua, l’alimentation des dromadaires (100% des éleveurs) se concentrent essentiellement sur l’exploitations des ressources naturelles notamment les fourrages aériens et les herbacées en périodes propices. Une large proportion des éleveurs (87%) pratique la complémentation alimentaire. Celle-ci est plus orientée vers les femelles gestantes ou en lactation pour soutenir la production laitière et plus pratiquée en saison sèche par 76% des éleveurs. Dans la zone périurbaine d’Agadez, Chaibou et Faye (2005) rapportent la même pratique mais avec une forte fréquence des éleveurs (52%) ne pratiquant pas la complémentation. Au Mali, Bara etal (2020) rapportent une situation moins importante où 5,6 % des éleveurs ont déclaré la pratique de la complémentation dans l’alimentation de leurs troupeaux.
Faye et Konuspayeva (2011) proposent l’esquisse d’une typologie en considérant l’ensemble du processus de la production à la transformation. Cette typologie repartit le type de valorisation selon qu’il s’agisse d’un lait traditionnel, semi-industriel ou industriel. Dans la zone périphérique de Tahoua, il s‘agit de la première catégorie, lait traditionnel, commercialisé uniquement sous forme frais, le lait caillé étant exclusivement autoconsommé par les ménages. La production laitière cameline se fait sur toute l’année et dans toutes les 4 zones. Cette production est soutenue par des stratégies visant à garder quelques noyaux de femelles en lactation pendant la saison hivernale, pour maintenir l’offre du lait de chamelle, bien que fluctuante selon les saisons, pour approvisionner la ville de Tahoua. Selon les enquêtes, la production dans les 4 zones relativement faible comparée au potentiel des chamelles.
La transformation du lait se limite à la production du lait caillé. Une étude conduite au Niger et au Mali (Vias Franck etal 2003) montrent qu’il est possible de fabriquer du fromage à base du lait de chamelle en utilisant un fermant appelé CamiflocND. Dans la zone d’étude, cette technique a été expérimentée mais la cherté du produit et son accessibilité géographique limitée ont constitué un frein à son utilisation. Selon Konuspayeva et Faye (2019), l’expérience en matière de fabrication de yaourts, de fromages, de beurre et autres produits comme la poudre ou le lait ultrafiltré est trop récente pour être achevée. Dans la zone d’étude, une méthode traditionnelle bien que peu répandue, permet à certains éleveurs d’avoir du fromage en utilisant l’estomac séché de lapin.
S’agissant de l’entrée du lait frais de chamelle dans le circuit commercial, jusqu’aux années 2010 à 2012, la vente était prohibée par les normes sociales des éleveurs. Selon leur conception, le produit doit être offert gratuitement quelques soit la situation. Ceux qui osait sensibiliser à la vente du lait étaient méprisés par l’entourage. Cette culture est similaire à celle de l’éthnie toubous au Tchad et au Niger rapporté par Baroin (2011). Dans beaucoup des pays producteurs du lait de chamelle en Afrique et au Moyen orient, le tabou autour de la vente du lait de chamelle a perduré ce qui justifie son entrée tardive tardivement dans les circuits commerciaux (Faye et Konuspayeva 2017).
Dans la zone périphérique de Tahoua, La mise en vente du lait de chamelle sur le marché a commencé dans les années 2013-2014 avec l’appui des structures locales et internationales. Bien que ce tabou reste encore d’actualité, les sensibilisations sur l'importance économique du produit ont incité les producteurs à mettre sur les marchés le produit. Les expériences de ceux qui ont voulu rompre avec la tradition a intrigué les autres éleveurs, voyant désormais en cette activité un moyen de lutte contre la pauvreté, le chômage et l’exode des jeunes. Les éleveurs ont compris qu'au plus des revenus générés par l'activité, c'est un moyen de sécuriser leur troupeau en réduisant le déstockage. Cette tendance a été observée par Faye, Vias Franck et Chaibou (2013).
L'étude a mis en évidence la diversité des systèmes d'élevage camelin dans la zone périurbaine de Tahoua, caractérisée par des pratiques variées liées aux activités des éleveurs, à la structure des troupeaux, aux systèmes et types d’élevage, à la mobilité des troupeaux, à la complémentation alimentaire, à la valorisation et la commercialisation du lait. Quatre groupes distincts ont été identifiés, reflétant une adaptation des éleveurs aux défis environnementaux, économiques et culturels.
Le premier groupe illustre une orientation semi-intensive et commerciale, avec une forte adoption de la complémentation et une mobilité stratégique. À l'opposé, les éleveurs du second groupe se distinguent par une gestion extensive et une dépendance aux ressources naturelles. Les éleveurs du troisième groupe, quant à eux, présentent un modèle marqué par une commercialisation intégrale du lait et une sédentarité. Enfin, le quatrième groupe, davantage axé sur l'autoconsommation et la diversification des activités, témoigne de la transition de pratiques nomades vers des systèmes sédentaires. L'étude a mis en lumière le rôle central de la commercialisation du lait de chamelle dans la zone périurbaine de Tahoua, confirmant son importance économique pour les éleveurs et sa contribution à l'approvisionnement de la ville de Tahoua. Les stratégies adoptées par les éleveurs, telles que la garde d'un noyau de chamelles en lactation près de la ville, la pratique de complémentation alimentaire, le système de « location des chamelles » traduisent leur capacité à maintenir une offre continue en lait, même en période de rareté. Ces éléments soulignent l'importance de poursuivre les recherches sur les dynamiques de la chaîne d'approvisionnement, en intégrant des analyses plus approfondies des flux de production, des mécanismes de distribution, et des rôles des différents acteurs impliqués notamment les éleveurs, les collecteurs, les transporteurs et les commerçants.
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