Livestock Research for Rural Development 31 (3) 2019 Guide for preparation of papers LRRD Newsletter

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Le déclin des systèmes de production camelins dans le Sahara septentrional algérien - cas de la cuvette de Ouargla, le M’zab et le Ziban

H Bedda1, A Adamou2, B Bouammar2 et B Babelhadj1

1 Ecole Normale Supérieure, Ouargla
2 Université Kasdi Merbah, Ouargla Laboratoire Bio Ressources Sahariennes, Préservation et Valorisation Université Kasdi Merbah- Ouargla, 30.000 Algérie.
beddahafsia@gmail.com

Résumé

La présente étude a pour but de mettre en lumière les systèmes de production camelins actuels pratiqués au Sahara septentrional algérien. Des données ont été collectées de septembre 2014 à juillet 2017 auprès de 217 chameliers, détenant 11 904 têtes camelines (54,9 ± 2,5 par éleveur), à travers trois zones agro-écologiques: la cuvette de Ouargla (135 chameliers), le M’zab (66) et le Ziban (16). La situation se caractérise par un déclin du nomadisme et la fixation au sol des chameliers. Le processus est identique dans l’ensemble des zones étudiées; la transhumance des troupeaux (93,5%) se substitue aux déplacements nomades de la tribu (1,0% seulement) et la maison en dur remplace la tente, avec 5,5% de sédentaires. L’urbanisation effrénée de la société saharienne, le manque de main-d’œuvre familiale assurant la relève, l’ouverture du marché du travail, ainsi que la dégradation des espaces pastoraux sahariens ont amplement favorisé la sédentarisation des chameliers. Les orientations dominantes des élevages enquêtés sont: la boucherie (90,8%), le lait (5,5%) ou la course (4,1%). L’élevage camelin, qui n’avait plus d'autre débouché que la boucherie, s’engage ces dernières années sur une vente informelle du lait (4-7 l produits par jour sur 6-18 mois) utilisé comme alicament, ce qui a précipité la structuration de la filière autour des centres urbains, et l’émergence d’un élevage semi-intensif, de type périurbain, qui manifeste sa vitalité.

Mots-clés: Algérie, chamelier, production cameline, dromadaire, viande, lait, nomadisme, sédentarité, transhumance


The decline of camel production systems in Algerian Northern Sahara - case of the basin of Ouargla, the M’zab and the Ziban

Abstract

The present study aimed at highlighting current practiced camel production systems in the Northern Algerian Sahara. Data were collected from September 2014 to July 2017 nearby 217 cameleers, holding 11 904 heads (54,9 ± 2,5 by breeder), through three agro-ecological areas: the basin of Ouargla (135 cameleers), the M’zab (66) and the Ziban (16). The situation is characterized by the decline of nomadism and the attachment of cameleers to the ground. The process is identical in the whole studied areas; the transhumance of herds (93.5%) substitutes nomadic movements of the tribe (only 1.0%) and the buildings replaces the tent, with 5.5% of sedentaries. The unbridled urbanization of the Saharan society, the lack of family workforce providing succession, the opening of the labor market, as well as the degradation of Saharan pastoral areas have amply promoted the sedentarization of cameleers. The dominant orientations of surveyed breeding are: butchery (90.8%), milk (5.5%) or racing (4.1%). Camel breeding, that had no other outlet than butchery, is engaged those last years on an informal sale of camel milk (4-7 l produced by day on 6-18 months) used as a nutraceutical, which has precipitated the structuration of the sector around urban centers, and the emergence of a semi-intensive breeding, peri-urban type, that manifests its vitality.

Key-words: Algeria, cameleer, camel production, dromedary, meat, milk, nomadism, sedentary, transhumance


Introduction

L’Algérie réserve depuis son indépendance un programme ambitieux pour développer les zones déshéritées du pays. Le Sahara, dans lequel domine l’élevage camelin extensif, a été le théâtre de mutations importantes liées à des événements structurels, socio-économiques ou conjoncturels, qui ont profondément reconfiguré cette aire géographique. Parmi les programmes initiés par l’État, la rénovation agricole occupe une place de choix, à travers ses différentes composantes animales et végétales. Dans les zones riches en ressources hydriques et en sol, l’agriculture a joué un rôle stabilisant pour les populations de filiation nomade, pour qui, l’élevage des dromadaires est un apanage.

L’intérêt éprouvé pour cet animal emblématique des zones arides et semi-arides, n’est pas fortuit. Selon Senoussi (2011), le dromadaire occupe une place prépondérante dans les domaines économique, social et culturel des populations sahariennes d’origine nomade, et comme étant une caisse d’épargne mobilisable en cas de besoin (Adamou, 2008). Grâce à ses aptitudes à mieux valoriser de pauvres disponibilités nutritives et à les transformer en produits comestibles (Faye, 1997), le dromadaire est un excellent pourvoyeur en protéines animales (Messaoudi, 1999) que doit contenir la nourriture humaine pour qu’elle soit équilibrée, dans des milieux où l'existence d'autres alternatives d'élevage serait aléatoire et onéreuse (Narjisse, 1989).

Il s’agit d’un système de production ancestral, reposant classiquement sur un élevage extensif, parfaitement adapté à la biologie d’une espèce marquée par un cycle productif lent (Faye et al, 2004). La présente étude a pour objectif d’identifier l’impact des enjeux socio-économiques et politiques, que connait le milieu saharien, sur les systèmes de production camelins, dont les effectifs connaissent un accroissement substantiel, passant de 114 300 têtes en 1992 à 362 265 en 2015 (MADRP, 2017).


Matériel et méthodes

Le Sahara septentrional, notre domaine d’étude, représente le plus grand désert du monde (Castany, 1982). C’est une zone de transition entre les steppes méditerranéennes Nord africaines et le Sahara central algérien, caractérisée par des isohyètes inférieures à 100 mm, la présence et la maturation du palmier dattier, ainsi que la limite sud de l’alfa, Stippa tenacissima (Ozenda, 1983). L’étude a été conduite de septembre 2014 à juillet 2017, à travers 3 espaces naturels de référence identitaires différentes, couvrant une superficie totale de 319 071 km²: la cuvette de Ouargla (zone 1), le M’zab (zone 2) et le Ziban (zone 3) (Figure 1). Selon la classification de Köppen, la zone d’étude se caractérise par un climat chaud: la température moyenne est de 23°C à Ouargla, 22°C à Ghardaïa et 22,4°C à Biskra. Les précipitations sont en moyenne de 146 mm à Ouargla, 237 mm à Ghardaïa et 196 mm à Biskra (O.N.M., 2017).

Figure 1. Situation géographique de la zone d’étude

Le choix des stations d’étude a été effectué d'une façon subjective obéissant à des critères indispensables, notamment:

  1. des zones ayant un profil rural et réputées pour l’activité cameline,

  2. la présence d’une population qui exploite les dromadaires en nombre assez important.

Un nombre total de 217 éleveurs de dromadaires ont été enquêtés (135 en zone 1, 66 en zone 2 et 16 en zone 3), sur la base de leur disponibilité. Les entretiens avec ces acteurs et les observations directes sur le terrain, constituent les outils d’investigation dans notre démarche. Les entretiens étaient à questions ouvertes, notamment pour les questions relatives aux sources de revenus, les charges et les produits; et à questions fermées, relatives à la démographie des troupeaux, les productions individuelles et la destination des productions. La richesse des entretiens reposait sur la relation de confiance acquise au cours de l’enquête. Ceci nous a permis de retracer la situation de chaque exploitation d’élevage, les enjeux auxquels elle a été confrontée depuis son démarrage et ceux auxquels elle doit faire face.


Résultats

Les données collectées (Tableau 1) révèlent que la conduite des dromadaires est aux mains de deux ethnies nomades de filiation: les Chaâmbas (92,6 p 100) et les Ouled Naïl de l’Ouest (7,4 p 100).

Tableau 1. Caractéristiques socio-économiques des élevages enquêtés
Désignation Zone 1 Zone 2 Zone 3 Total
Nombre % Nombre % Nombre % Nombre %
Nombre total d’éleveurs 135 62,2 66 30,4 16 7,4 217 100
Tribu Chaâmba Chaâmba Ouled Naïl de l’Ouest  
Mode de vie
Nomades 1 50 0 0 1 50 2 1
Sédentaires 6 50 3 25 3 25 12 5,5
Transhumants 128 63 63 31 12 6 203 93,5
Mode d’acquisition des troupeaux
Achat 4 100 0 0 0 0 4 1,8
Héritage 131 61 66 31 16 8 213 98,2
Nombre de dromadaires 9 928 83,4 1 416 11,9 560 4,7 11 904 100
Orientation dominante de l’élevage
Production laitière 9 82 0 0 2 18 11 5,1
Boucherie 120 61 63 32 14 7 197 90,8
Course 6 67 3 33 0 0 9 4,1
Source: Nos enquêtes (2017)

L’activité cameline pour ces deux ethnies est secondaire, c’est un symbole de richesse, un prestige social, un outil de capitalisation et un facteur de sécurisation de la vie dans ces endroits hostiles à l’existence humaine. L’héritage familial constitue le principal mode d’acquisition des effectifs camelins (98,2 p 100); 4 chameliers enquêtés ont été intégrés à la filière en 2016, suite à un achat subventionné de 4 têtes camelines, dans le cadre du programme de développement rural afin de ressusciter l’activité au niveau de la cuvette de Ouargla.

Les enquêtés sont des chefs de ménage, dont la tranche d’âge varie entre 32 et 89 ans, avec une prédominance des sexagénaires qui représentent 62 p 100 des personnes interrogées. L’élevage des dromadaires n’est plus la seule activité pratiquée par les enquêtés; 72 p 100 combinent cette activité à l’agriculture, 23 p 100 exercent en plus un élevage de petits ruminants et 5 p 100 sont des salariés ou des retraités de la fonction publique.

L’effectif enquêté s’élève à 11 904 têtes camelines (dromadaires), dominé par des femelles (65 p 100) assurant à la fois, le croît interne des troupeaux et la production de lait. Les élevages enquêtés comprenaient des dromadaires de population Sahraoui (97,2% environ), Chaâmbi (0,9% environ), Targui (1,8% environ) et des métis (0,02% environ). Chaque éleveur estampille ses dromadaires au fer rouge avec un sceau tribal de propriété apposé généralement sur le côté droit de l'animal (la cuisse ou le cou), et d’un signe annexe apposé sur la joue ou l’oreille pour individualiser l’animal, pour l’identifier (Figure 2).

Figure 2. Sceau tribal de propriété et signe annexe pour l’individualisation

Suivant la saison et la finalité de l’élevage, on trouve diverses combinaisons; le troupeau peut être composé exclusivement de dromadaires mâles destinés au bât (méharis de course), de femelles destinées à la reproduction avec un ou plusieurs géniteurs, ou de jeunes mâles de moins de 2 ans destinés à l’engraissement.

Selon le mode de vie des enquêtés, nous avons relevé la coexistence de trois modes de conduite de dromadaire, différant entre eux par la taille des troupeaux, les zones d’implantation et la finalité de l’élevage. Les systèmes de production répertoriés ont été: le système nomade (1,0 p 100), le système transhumant (93,5 p 100) et le système sédentaire (5,5 p 100) (Figure 3).

Figure 3. Systèmes de production camelins répertoriés

La situation actuelle se caractérise par le déclin du nomadisme, et la fixation au sol des chameliers; le processus est identique dans l’ensemble des zones étudiées. À travers la zone d’étude, on n’a recensé que 2 chameliers en mouvements perpétuels avec leurs troupeaux entre les zones de pâturage; l’un au niveau de la zone de N’goussa (cuvette de Ouargla), et le second au niveau de la zone de El-Haouch (Ziban). Le nomadisme à grand rayon est partout moribond, et semble destiné à disparaître, à cause de l'aspect contraignant de l'activité.

Selon les enquêtés, le système de production nomade n’est plus destiné à assurer un revenu économique stable, en raison du caractère aléatoire et irrégulier de la disponibilité en fourrages à travers les parcours sahariens, ainsi que les préjugés cultuels des chameliers interdisant la vente du lait de chamelle. Ce mode d’élevage est beaucoup plus associé à une économie de subsistance, marquée par une autoconsommation de la production laitière. C’est la raison pour laquelle les nouveaux chameliers immigrants arrivant en ville s’adonnent plutôt à des activités à revenus économiques stables et plus lucratives.

Le mode d’élevage extensif a été substitué par des migrations étriquées, qui ont précipité une structuration de la filière autour des centres urbains, et l’émergence d’un élevage semi-intensif, de type périurbain qui manifeste sa vitalité. Le cheptel camelin de ce type d’élevage se caractérise par la pratique de l'agrégation des troupeaux en groupes d'animaux traités de manière distincte, selon la finalité de chaque lot.

La partie productive du troupeau est représentée par des chamelles en lactation (5,1 p 100) qui sont maintenues dans des enclos, à proximité des routes principales pour qu’elles soient accessibles aux acquéreurs du lait de chamelle. L'élevage camelin laitier est une activité récente, pratiquée par des chameliers agro-éleveurs. L’activité est plus développée au niveau de la cuvette de Ouargla, et s’intensifie d’avantage. Nous avons recensé dans le cadre de cette étude, 9 fermes pour la vente informelle du lait de chamelle au niveau de la cuvette de Ouargla, et 2 au niveau du Ziban. Au niveau du M’zab, la vente du lait de chamelle se fait sur demande, dans des boucheries dédiées à cette finalité.

Utilisé comme alicament, le lait de chamelle dont le litre se vend 600 Da (4,35 Euro), est un créneau prometteur pour les chameliers. La production laitière journalière d’une chamelle varie entre 4 et 7 litres, pour une période de production allant de 6 à 18 mois, selon les opportunités de ventes offertes au profit des chameliers.

Les troupeaux d’engraissement sont exclusivement composés de chamelons de moins de 2 ans (de type makhloul de 0 à 1 an et hachi de 1 à 2 ans), destinés à approvisionner les marchés et les abattoirs de proximité. Deux exploitations dédiées à cette finalité ont été recensées, l’une au niveau du M’zab et l’autre au niveau de la cuvette de Ouargla. Les troupeaux de ce type d’élevage sont généralement de petite taille, n’excédant que rarement les dizaines de têtes.

L’utilisation des dromadaires comme animaux de course, n’est pratiquée qu’au niveau de la cuvette de Ouargla et au M’zab. Cette pratique est très populaire, lors de cérémonies organisées à l’occasion des fêtes nationales. Les dromadaires utilisés pour la course (meharis) sont de type longiligne, appartenant aux populations Targui et Sahraoui, et leur dressage commence à l’âge de 36 mois.

Les circonstances socio-économiques qu’a connues le milieu saharien, ont joué autant que les mutations politiques et environnementales, sur le déclin du nomadisme chamelier, notamment:


Discussion

L’élevage du dromadaire, en Algérie, se fait selon trois principaux systèmes d'élevages: nomade, semi-nomade et sédentaire (Adamou, 2008); les deux derniers systèmes sont de loin les plus fréquents, avec toutefois prédominance du mode transhumant (Ben Aïssa, 1989). Contrairement aux régions du Hoggar, Tindouf et Souf, où les nomades représentent la plus grande proportion de chameliers (Adamou, 2008; Ibba, 2008; Harek et Bouhadad, 2008; Titaouine, 2006). Selon Boukhebza (1989), le processus de déstructuration et de destruction de tous les supports du nomadisme a commencé au cours de la période coloniale et s’est poursuivi après l’indépendance. Différentes pratiques sont, actuellement, proposées pour améliorer la productivité zootechnique de l’espèce cameline en plusieurs endroits au monde. Une intensification orientée vers le marché, à travers une évolution sensible des systèmes de production laitiers périurbains opérés surtout dans les périphéries des villes sahariennes, tels que: Laâyoune au Maroc, Nouakchott en Mauritanie, la ville de Djibouti (FAO, 2003), Agadez au Niger (Chaibou, 2005), ainsi qu’Almaty au Kazakhstan (Faye et al, 2004). Les qualités diététiques, nutritionnelles, voire « thérapeutiques » du lait de chamelle (Konuspayeva et al, 2014; Mullaicharam 2014) sont désormais des arguments commerciaux permettant de vendre, parfois très cher, ce produit sur les marchés locaux. Selon Faye et al (2017), le dromadaire est désormais voué à la production régulière de lait; le développement de la traite mécanique en est un excellent exemple (Atigui, 2014; Ayadi et al, 2013; Wernery et al, 2004). La pratique de la traite devient une activité de routine et taylorisée en Tunisie et à Dubai (Nagy et al, 2013).

Il en est de même de la viande de chameau, réputée pauvre en cholestérol (Kadim et al, 2008) et riche en méthionine (Raiymbek et al, 2015), dont l’intérêt sur le marché mondial est grandissant (Faye et al, 2017). Des fermes spécialisées dans l’engraissement des mâles âgés de moins de deux ans (hachi), s’implantent à la périphérie des villes en Arabie Saoudite (Faye et al, 2017), pour satisfaire la demande locale en viande cameline. C’est également l’exemple des dromadaires de course dans les pays du Golfe pour lesquels les biotechnologies les plus modernes sont développées au service de montures sélectionnées (Skidmore et al, 2000).


Conclusion


Références bibliographiques

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Received 7 November 2018; Accepted 20 February 2019; Published 4 March 2019

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