La graine de fève sèche (Vicia faba major L) en alimentation cunicole: effets sur les performances de croissance et d’abattage

R Hannachi-Rabia, S A Kadi, C Bannelier¹, M Berchiche et T Gidenne¹

Département des Sciences Agronomiques, Faculté des Sciences Biologiques et Sciences Agronomiques, Université M. Mammeri de Tizi-Ouzou UN1501, Algérie.
hannachiraja@yahoo.fr
¹ GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, ENVT, Castanet Tolosan, France

Résumé

Le but de cet essai est d’étudier l’effet d’un remplacement total du tourteau de soja par des graines de fève (Vicia faba major L) dans l’alimentation du lapin en croissance. A partir de l’âge de 42 jours (sevrage) et durant 5 semaines, 68 lapereaux de population algérienne blanche élevés en cages collectives (4 lapins/cage) ont été répartis en deux lots : 34 lapereaux du lot témoin ont reçu ad libitum un aliment granulé équilibré à base de soja (15%), et 34 lapereaux du lot expérimental ont reçu un aliment à base de 15% de fèves en remplacement total du tourteau de soja. Les performances n’ont pas été influencées (P˃0,05) par le type d’aliment. De 42 à 77 jours d’âge, la vitesse de croissance a été de 25,6 g par jour, la prise alimentaire 97 g par jour et l'indice de consommation de 3,75. Les rendements et paramètres de la carcasse n’ont pas été influencés par le type d’aliment.

En conclusion, la substitution du tourteau par de soja par des graines de fève de l’aliment classique (luzerne 32%, orge 25%, son de blé 20%, tourteau de soja 15%, paille 6%, vitamines et minéraux 2%) n’a influencé ni la croissance, ni les performances à l’abattage des lapins. La fève s’avère une source protéique alternative au tourteau de soja dans un aliment équilibré pour le lapin en croissance. Le choix de cette option contribuerait à l’autonomie alimentaire en cuniculture algérienne et réduirait le coût de l’alimentation.

Mots clés: Algérie, lapin, nutrition, rendement carcasse

The dry seeds of broad bean (Vicia faba major L) for fattening rabbits: effect on growth and slaughter performance

Abstract

The purpose of this trial was to study the possibility of a total replacement of the soya bean meal by the seeds of bean ( Vicia faba major L) in the feed of the fattening rabbit. From 42 days (weaning) old and for 5 weeks, 68 rabbits of white Algerian population were housed in collective cages (4 rabbits / cage) and were allotted in two groups: 34 rabbits of the control group received ad libitum a pelleted feed with soya bean meal (15 %), and 34 rabbits of the experimental group received a feed with 15 % of beans seeds as a total replacement of the soya meal. The performances were not significantly influenced by the type of feed. From 42 to 77 days of age, the growth was 25.6 g / day, the feed intake was 97 g / day and the feed conversion ratio was 3,75. Yield and carcass characteristics were not influenced by the type of feed. In conclusion, the substitution of soya meal by bean seeds in the classical feed (alfalfa 32%, barley 25%, wheat bran 20%, soybean meal 15%, straw 6%, vitamins and minerals 2%) did not influenced the performances of the growing rabbit. The seeds of broad bean is an alternative source of proteins to soya bean meal for the growing rabbit. Choosing this option would contribute to food self-sufficiency in Algerian rabbit breeding and would reduce the feed costs.

Keywords: Algeria, rabbit, nutrition, carcass yield

Introduction

Les protéines du tourteau de soja sont d’une excellente valeur nutritionnelle et bien équilibrées en acides aminés indispensables ce qui en fait un produit incontournable pour l’alimentation des animaux en élevages intensifs (Cetiom 2008). Mais, le tourteau de soja reste coûteux dans un contexte d'augmentation régulière des cours des matières premières. La recherche de l’autonomie alimentaire est donc plus que jamais d’actualité en alimentation animale, et en particulier la recherche de sources de protéines alternatives au soja. Ainsi, le pois ( Pisum sativum L) peut être utilisé dans l’alimentation des lapins à l’engraissement à des taux d’incorporation de 15 à 30% si les aliments sont convenablement équilibrés en acides aminés et il peut remplacer totalement le tourteau de soja (Franck et al 1978). De même, selon Lebas et Duperray (2013), les graines de lupin blanc peuvent être utilisées à raison de 12% dans l'alimentation des lapins en croissance en remplacement total des tourteaux de la ration (soja et tournesol).

Deux sous-espèces de fèves sont couramment cultivées (McVicar et al 2013, Muehlbauer et al 1997). Vicia faba var. major (fèves) produit de grosses graines (650-850 g / 1000 graines), principalement pour la consommation humaine, bien que les fèves puissent être destinées à nourrir le bétail en cas de surproduction (Goyoaga et al 2011). La fève ( Vicia faba major) est produite toute l’année dans certaines régions de l’Algérie, mais le surplus de production de cette legumineuse n’est pas valorisé faute d’usines de transformation et de moyens matériels de conservation. Il est souvent jeté au lieu d’être récupéré pour les animaux. L’alternative de substitution du tourteau de soja par la fève dans l’aliment granulé pour le lapin en engraissement serait donc judicieuse à envisager.

D’autre part, Vicia faba var. minor (la féverole) produit des graines plus petites (250-350 g/1000 graines) et est utilisée pour l’alimentation du bétail. La féverole a fait l’objet de plusieurs études comme source de protéines alternative au soja pour le lapin (Colin et Lebas 1976, Seroux 1984, Berchiche et Lebas 1984, Berchiche et Lebas 1994, Lounaouci et al 2014). Ces graines sont riches en protéines (25-33% MS) et en amidon (40-48% MS). Par contre, Berchiche et Lebas (1994) indiquent que son utilisation par le lapin nécessite une complémentation végétale à base de céréales et de luzerne pour atténuer la déficience en acides aminés soufrés (méthionine).

L’objectif de cet essai est d’étudier la possibilité de remplacement total du tourteau de soja par les graines de fève (Vicia faba major L) dans l’alimentation du lapin en engraissement.

Matériel et méthodes

Présentation du lieu de l’expérimentation

L’expérience a été réalisée dans un élevage commercial privé situé au niveau de la Daïra de Makouda à 20 km au nord-ouest du chef-lieu de la Willaya de Tizi-Ouzou (Algérie). Celle-ci a débuté le 08/03/2015 et a pris fin le 13/04/2015 soit une durée de cinq semaines d’engraissement. La température à l’intérieur du clapier a varié de 22 à 25°C, l’humidité a été stable (59%) ; l’éclairage était assuré naturellement par des vasistas le long des parois latérales assurant aussi l’aération. Les cages étaient munies d’abreuvoirs automatiques et de trémies métalliques (4 postes) pour granulé avec des dimensions de 56 x 38 x 28 cm.

Aliments expérimentaux

Deux aliments granulés ont été utilisés au cours de cette expérimentation. Ils ont été formulés à l’aide du logiciel de formulation WUFFDA : un aliment témoin qui répond aux recommandations nutritionnelles courantes pour le lapin en croissance et contenant 15% de tourteau de soja, et un aliment expérimental avec 15% de fèves en remplacement total du tourteau de soja (Tableau 1). Les deux aliments ont été fabriqués dans la même usine d’aliment de bétail (SARL production locale de Bouzareah à Alger) et distribués ad libitum (Tableau 1).

Les animaux et les mesures

Les 68 lapins utilisés lors de l’essai sont de population locale blanche. Les mesures sur les lapins ont été prises à partir de 42 jours d’âge (sevrage), avec un poids vif moyen de 1 140 g pour les deux lots.

Répartis en deux lots de 34 lapins pour chaque aliment, ceux-ci ont été placés dans des cages collectives (4 lapins par cage) disposées en flat-deck jusqu'à l’âge de 77 jours. Les lapins ont été identifiés par portées, et leur répartition entre les 2 lots a été aussi homogène que possible, en tenant compte de l'origine de la portée et du poids des lapereaux. Le sexe des lapins n’a pas été pris en considération, car jusqu’ à l’âge de 10, 15 et 20 semaines, selon que la croissance soit rapide, moyenne ou lente, le sexe n'a pas d’influence sur le gain de poids vif et la composition corporelle des lapins (Ouhayoun et al 1983).

Les lapins ont été nourris ad libitum et l’eau était disponible ad libitum à travers des abreuvoirs automatiques de type pipettes.

Mesures effectuées

Durant les cinq semaines d’engraissement, un contrôle hebdomadaire du poids vif, de la prise alimentaire et un contrôle quotidien de la mortalité ont été effectués. Les paramètres suivants ont été enregistrés ou calculés :

Le poids vif a été déterminé individuellement à l’aide d’une balance électronique (30 kg ± 5 g) une fois par semaine, le même jour, en début de matinée.

Les quantités d'aliment consommées ont été calculées par contrôle hebdomadaire des quantités distribuées et refusées par cage.

Composantes du rendement à l’abattage

A la fin de la période d’engraissement, 20 lapins ont été abattus (10 de chaque lot) sans mise à jeun préalable, en les choisissant dans la moyenne de chaque lot. Les principales composantes de la carcasse ont été relevées ou calculées selon les recommandations de Blasco et Ouhayoun (1996) : poids vif à l'abattage, poids de la peau, du tube digestif plein, de la carcasse chaude. Après 24 h passées en chambre froide, ont été mesurés : le poids de la carcasse froide du foie, des reins, du gras perirenal et du gras inter scapulaire.

Statistiques

L’ensemble des variables a été soumis à une analyse de la variance à l’aide du logiciel R avec l’aliment comme seul facteur de variation. L’unité expérimentale était le lapin pour les paramètres de croissance (poids vifs et GMQ) et les paramètres d’abattage, et la cage pour la consommation.

Résultats et discussion

Composition chimique de la fève (Vicia faba major L) incorporée dans l’aliment expérimental

Le tableau 2 montre clairement qu’il existe de grandes similitudes entre la composition chimique et la valeur nutritive de la fève et de la féverole.

L'aliment témoin (soja) et l’aliment fève contiennent (Tableau 3) dans l’ordre 13,1 et 13,4 MJ/kg d’énergie digestible, ce qui dépasse les recommandations courantes qui se situent entre 9,8 et 10,2 MJ d’ED selon Gidenne et al (2015).

La teneur calculée en protéines digestibles est de 150 et 110 g/kg respectivement pour l’aliment soja et l’aliment fève. Celle de l'aliment soja dépasse largement les recommandations de Gidenne et al (2015), qui sont de 100 à 115 g pour le lapin en croissance. Par contre, l’aliment fève correspond aux instructions de Carabano et al (2009) qui ont montré qu’un niveau de protéines autour de 14% n’altère pas les performances de croissance.

Les protéines de la féverole sont déficientes en acides aminés soufrés et fournissent seulement environ 53% des besoins (Lebas 2004). La supplémentation avec d’autres matières premières riches en acides aminés soufrés ou méthionine améliore les performances de croissance et le rendement de la carcasse.

Sur le plan des apports en fibres, la valeur NDF du régime à base de fève (248 g/kg) rejoint les instructions de Gidenne et al (2015) ≥ 220 g/kg. Cet aliment fève contient 116 g/kg d’ADF, et est donc inférieur aux recommandations qui sont de 170 g /kg (Gidenne et al 2015). Il en est de même pour l'aliment témoin, qui contient seulement 126 g/kg d’ADF. D'autre part, la teneur en ADL (29 g/kg) est aussi en deçà des préconisations (≥50 g/kg, Gidenne et al 2015). Ces faibles apports en fibres seraient probablement à l’origine des faibles consommations d’aliment et ont peut être freiné la croissance des lapins.

Evolution de la croissance et de la consommation

Les poids vifs moyens obtenus à âges fixes (42, 56 et 77 jours) dans les deux lots (Tableau 4) ne sont pas différents statistiquement : 1 140 g, 1 450 g et 2 000 g.

L’évolution de la croissance des deux lots de lapins est similaire à celle décrite classiquement par Ouhayoun et al (1983) et Blasco (1992), avec un point d’inflexion entre la 5^ème semaine et 8^ème semaine d’âge des lapins.

La vitesse de croissance ne diffère pas entre les deux lots. Les meilleurs gains de poids ont été réalisés entre 56 et 77 jours, avec une moyenne de 28,1 g/jour. Sur la période globale, la vitesse de croissance reste modérée (25,6 g/jour) par rapport aux valeurs de Kadi et al (2011) sur la même population blanche (entre 30 et 37 g/jour). Dans les deux lots, l’énergie digestible élevée des aliments (13,25 MJ/kg) a induit une réduction de l’ingestion, ce qui peut aboutir à un apport insuffisant de nutriments.

Nos résultats sont aussi inférieurs à ceux rapportés par Lounaouci et al (2014), qui rapportent une croissance de 30,8 g/jour avec un aliment à base de 26% de fève et de 30,4 g/jour avec un aliment à base de 30% de pois. De même que Lebas (1981) qui rapporte une vitesse de croissance de 38 g/jour et Berchiche et al (1995a et b) des valeurs de 42,8 et 38,9 g/jour avec un aliment à base de 26,5% et 26% de féverole entière respectivement.

La consommation d'aliment ne diffère pas entre les deux régimes, quelle que soit la période, et était en moyenne de 97 g/jour/lapin. Pour la période totale d'engraissement. Ces valeurs sont modestes, comparativement à des animaux de la même lignée. Ainsi, les valeurs d'ingestion rapportée par Berchiche et Lebas (1984) atteignent 133 g/jour avec un aliment à base de 36% de féverole. Elles sont cependant proches de celles par Lounaouci et al (2014) qui est de 97,8 g/jour avec un aliment à base de 26% de fèverole.

La concentration calculée en énergie digestible de l’aliment témoin (13,2 MJ/kg) pourrait être à l’origine de la faible consommation des animaux. En effet, la concentration en ED semble supérieure aux normes recommandées par Gidenne et al (2015) qui sont de 10,2 MJ chez le lapin en croissance. Ces auteurs relient directement le niveau d’ingestion à la concentration en fibres de l’aliment, plutôt qu'à sa concentration en ED. Une augmentation de l’ED de l’aliment de 1 MJ/kg diminue la consommation de 12 g/jour et l’indice de consommation (IC) de 0,29 points (Xiccato et Trocino 2010). Cet effet est corroboré par Maertens (2010) qui la situe dans une fourchette de 0,15 et 0,20 points pour l'IC.

L’IC obtenu dans les deux régimes est plus élevé que celui rapporté par Maitre et al (1990) qui est de 3,26 avec un taux d’incorporation de 10% de féverole et que le résultat de Lounaouci et al (2014) qui est de 3,17 avec un aliment à base de 26% de fèverole. Nos valeurs sont proches de celle rapportées par Lounaouci (2002) qui est de 3,72 pour aliment contenant 30% de féverole.

Etat sanitaire

Nous avons enregistré la perte de 5 lapins par lot sur un total de 36 (15%). La mortalité observée pendant les premières semaines d’engraissement est à relier probablement au stress provoqué par les difficultés d’adaptation des lapereaux aux nouvelles conditions d’élevage inhérentes à leur sevrage (séparation de la mère, transfert de local, …), plutôt qu'à un effet de l'aliment (Lebas et al 1991 ; De Blas 2013).

Rendement à l’abattage et caractéristiques de la carcasse

A l’abattage (Tableau 5), les lapins ont atteint un poids vif supérieur à de 2 kg : 2 150 g. Ce poids est proche voire légèrement supérieur à celui rapporté par Kadi (2012) qui a confirmé que le lapin de population blanche pèse 2 kg à l’âge de 77 jours. Ainsi, le poids à l’abattage pour les lapins des deux groupes est de 60% du poids adulte de 3 600 g trouvé par Zerrouki et al (2008) ; alors que pour la même population de lapins et le même poids adulte, Kadi et al (2004) ont signalé un taux de 68%. Ceci coïncide avec la valeur de 58% de celui rapportée par Hannachi-Rabia (2009) et qui est de 3 708 g obtenues sur cette même population blanche.

Les poids moyens de la peau ne diffèrent pas entre les régimes (442 g). La proportion de peau est faible (en moyenne 9,4%), égale pour les deux lots, par rapport aux valeurs standard de 14% rapportées par Ouhayoun (1989), ou à celle de Lounaouci (2002) qui est, à 12 semaines d’âge, de 10,5%. A l’abattage, le rendement en carcasse est plus important chez les lapins élevés en condition chaude, cela serait lié à une réduction du poids relatif de la peau (Lebas et Ouhayoun, 1987).

Les régimes n’ont eu aucun effet sur le poids du tractus digestif plein (202 g en moyenne), ni sur la proportion du tractus digestif, par rapport au poids vif d’abattage (20,6% en moyenne). Ces résultats sont supérieurs à ceux de Lounaouci (2002) soit 18,4% et de Kadi et al (2016) qui ont rapportés un taux de 16,4%.

En valeur absolue, les poids des carcasses est satisfaisant (1 420 g en CC et 1 330 g en CF), sans effet de l'aliment. Ces valeurs sont supérieures à celles obtenues par Lounaouci et al (2008) avec 1 322 g pour la CC et 1 283 g pour la CF. Les rendements en carcasses restent donc convenables, comparés à la valeur classique située entre 55 et 60% pour le lapin standard de format moyen (Ouhayoun 1989). L’amélioration du rendement à l’abattage résulterait de la diminution de la proportion du tractus digestif et de la peau ; c’est une conséquence positive de la prolongation de l’engraissement ; sachant que la croissance du tractus digestif devient moins rapide que celle du corps à partir de 650 g et celle de la peau à partir de 850 g (Ouhayoun 1990).

Conclusion

• Globalement, l’incorporation de la graine de fève ( Vicia faba major) à la place du tourteau de soja n’a pas affecté significativement la croissance des lapins, ni la consommation, ni les caractéristiques d'abattage.
  
  
• Dans les conditions pratiques, la fève peut donc être utilisée dans l’aliment destiné aux lapins à l’engraissement à un taux d’incorporation de 15%. Il reste à confirmer ces résultats encourageants sur un plus grand nombre d'animaux.

Remerciements

Les auteurs remercient vivement L. Berkani et L. Tahir pour leur collaboration technique à la réalisation de cet essai ainsi que M. Rahoui qui a mis à leur disposition le bâtiment, les cages ainsi que les lapins. Cette étude est partiellement réalisée dans le cadre du projet CMEP-TASSILI 13MDU883.

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Received 23 September 2016; Accepted 28 January 2017; Published 1 March 2017

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