Livestock Research for Rural Development 29 (11) 2017 | Guide for preparation of papers | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
La croissance démographique et l'urbanisation engendrent une augmentation de la demande en produits d'origine animale alors que la disponibilité en ressources fourragères se réduit. Un système d'évaluation et de suivi pour estimer la quantité de biomasses fourragères disponibles est indispensable. Ainsi, une approche combinée de télédétection, modélisation et programmation informatique a été utilisée pour créer un tel outil cartographique. Pour cela, des mesures de données agronomiques sur le terrain sont couplées avec des données d'imagerie satellitaire pour élaborer des modèles de prédiction. Les modèles obtenus sont ensuite utilisés sur plusieurs images satellites archivées pour retracer le profil de disponibilité temporel des différentes espèces fourragères via la juxtaposition de 4 066 extraits d'indices de végétation (NDVI) obtenus à Madagascar. À chaque acquisition d’image satellite, les paramètres de l'équation du profil temporel sont modifiés, pour calculer de nouveaux rendements de biomasse, par l'assimilation dans les modèles de prédiction des données obtenues via l'imagerie satellite. L'état d'exploitation de la biomasse et la capacité de charge animale des différentes parcelles de pâturages, prédits par les modèles, constituent des données d’aide à la décision pour une gestion optimale de l'usage des parcelles. Les modèles sont ensuite implémentés et intégrés à une interface cartographique et de pilotage à partir d’une page Web. Ainsi, il est possible de dessiner une parcelle sur fond d’image satellite, puis de calculer les différents indicateurs pour cette parcelle. À travers la même interface Web, ces modèles peuvent aussi être utilisés comme outils de prospective permettant d'estimer la production fourragère sur plusieurs semaines après la date d'acquisition de l'image satellite. Cet outil a été conçu pour aider les acteurs du développement rural de Madagascar à conseiller les éleveurs sur la façon optimale de gérer les ressources fourragères.
Mots-clés: capacité de charge animale, Madagascar, NDVI, pâturage, programmation, ruminant, Système d'Information Géographique
Population growth coupled with urbanization are generating determining changes into livestock development owing to the increasing demand of animal products whereas forage resources are becoming scarce. In this alarming context, a monitoring and evaluation system seems to be necessary to estimate above-ground forage biomass quantity. Therefore, a combined approach of remote sensing, modelization and computer programming is used to create a cartography tool for forage resources quantity estimation. This tool was developed based on ground agronomic measurements datas coupled with satellite-images datas to elaborate forage biomass quantity prediction models. These models were then applied to several archived satellites images to track temporal profile production of different forage species through juxtaposition of 4 066 vegetation index (NDVI) extracts. For each satellite image acquisition, temporal profile equation parameters were modified to calculate new biomass yields through assimilation of datas obtained from satellite-image-prediction. Biomass exploitation status and animal carrying capacity of different pasture plots predicted by these models are helpful datas in decision-making for optimal management of plots utilization. Models were thereafter implemented in a cartographying and piloting interface from a web page. Therefore, it is possible to draw a plot on satellite image as background and to calculate different indicators for this plot. Through the same interface Web, these models can be utilized as a prospective tool for the estimation of forage production over several weeks from satellite image acquisition date. This tool was conceived to assist rural development actors in counseling livestock farmers for optimal management of forage resources.
Key words: Geographic Information System, Madagascar, NDVI, pasture, programming, ruminant, stocking capacity
La croissance démographique et l’augmentation des revenus, ainsi que l'urbanisation, engendrent des changements déterminants sur le développement de l’élevage par ses multiples effets directs et indirects. L'analyse de ces changements a mis en exergue deux tendances antagonistes : d'une part, la demande en produits d'origine animale, en qualité et en quantité, a augmenté considérablement. D'autre part, les dynamiques d’occupation des territoires agropastoraux font que la disponibilité du foncier pour la production de fourrages et/ou autres aliments pour les animaux, ainsi que l'accessibilité à ces produits, deviennent des enjeux majeurs (Hailu M. 2015). En tant que pays en voie de développement, Madagascar n'échappe pas à ces deux tendances. Ainsi, la valorisation optimale des ressources herbagères pour l'alimentation des ruminants s'avère être la solution à prioriser. Qu'il s'agisse de prairies naturelles ou temporaires, l’herbe présente une alternative alimentaire économiquement intéressante du fait, d’une part, de son faible coût de production et, d’autre part, de ses faibles coûts d’utilisation notamment en pâturage. Cependant, divers processus doivent être maîtrisés pour éviter le risque d’indisponibilité des ressources herbagères. Il s’agit par exemple de déterminer le moment propice de mise à l'herbe des animaux ou encore la détermination de la capacité de charge optimale des différentes parcelles de pâturage. La non maitrise de ces recommandations aura pour conséquence soit une baisse des performances animales par manque de ressources, soit la distribution de fourrages conservés ou d'aliments concentrés, plus coûteux. Par ailleurs, il existe aussi un risque de gaspillage de ressources fourragères si la production n’est pas utilisée au bon moment du cycle végétatif des plantes. Ainsi, la création d'un outil cartographique dynamique pour estimer la disponibilité des ressources fourragères à partir de données satellites pourrait contribuer à une meilleure gestion de ces ressources.
Des modèles statistiques permettant d'effectuer une projection de la production fourragère sur plusieurs semaines offrent la possibilité d'un raisonnement optimal sur l'utilisation des ressources. Le principe de l'outil consiste à faire une assimilation de données du rendement fourrager des différentes espèces calculées via les Indices de Végétation Normalisés (NDVI) dans un modèle de croissance d'herbe. À chaque acquisition d’image satellite, de nouveaux rendements sont calculés pour ajuster les paramètres du modèle prédictif. Ainsi, il sera possible de mieux gérer la mobilité des troupeaux suivant la disponibilité des ressources, dont la production et la répartition spatiale varient au cours de l’année.
L'élevage de ruminant occupe une place importante dans l'économie de Madagascar. Son développement est en liaison directe avec la richesse des pâturages qu'il exploite (Bosser, 1969). Cependant, nous constatons que les surfaces dédiées à l'alimentation des ruminants diminuent considérablement. Ces diminutions sont causées principalement par le problème de concurrence dans l’utilisation de l’espace (Brondeau 2003), de l'absence de législation sur l'affectation des parcelles de pâturage, et de la dégradation des pâturages par les feux de brousse trop fréquents (Dubois 2004). Face à cette situation critique, des systèmes d'évaluation et de suivi à grande échelle s'avèrent indispensables. L’emploi de l’imagerie par télédétection semble adapté pour évaluer les conditions de végétation des parcours de troupeaux du fait de la large couverture fournie, de sa capacité à examiner des régions éloignées potentiellement inaccessibles, et de recevoir l’information à des fréquences temporelles plus élevées que celles de l’échantillonnage sur le terrain. Depuis les années 70, l’imagerie par télédétection a été employée pour évaluer les conditions de végétation des parcours. Par exemple, Rouse et al (1973) ont appliqué l’imagerie par balayage multi-spectral pour l’examen du verdissement et mis au point un indice de végétation corrélé à la biomasse végétale. Depuis ces premiers essais, plusieurs approches différentes ont été développées pour examiner les conditions des parcours et quantifier la biomasse disponible. Par ailleurs, l’élevage de zébus occupe une place importante dans la vie sociétale de la population rurale malgache, en lien avec ses multiples rôles et attributs (capital, épargne, symbole de richesse,…). Le pastoralisme (Figure 1) est l’un des principaux systèmes permettant aux éleveurs de subvenir aux besoins de leurs troupeaux (Köhler-Rollefson 2012). Ce système repose sur les quatre caractéristiques suivantes : (i) la mobilité, (ii) le pâturage extensif, (iii) l'utilisation de terres communes et (iv) l'utilisation de races locales (IIRR et CTA 2015). Généralement, les éleveurs sont contraints de parcourir de longues distances pour assouvir les besoins de leurs troupeaux. Ces déplacements peuvent être : (i) saisonniers, en fonction de la disponibilité des ressources qui varie selon les saisons, ou (ii) quotidiens, les éleveurs profitent de différents sites de pâturage disponibles. Par ailleurs, il y a aussi les déplacements vers les marchés de vente d’animaux vivants où les animaux arrivent souvent amaigris et sont vendus à bas prix. Les éleveurs tiennent compte de la disponibilité en herbe pour décider des endroits où déplacer leurs troupeaux. Pendant longtemps, les éleveurs sont contraints d’évaluer et de mesurer la biomasse disponible par des mesures fastidieuses et onéreuses. Ainsi, la mise en place d'un outil d'évaluation plus facile à mettre en œuvre s'avère être très intéressante pour intensifier la production de bovins.
Figure 1. Site de pâturage naturel (Moyen Ouest de Madagascar, mois d'avril) |
Le noyau de l'outil de suivi dynamique est configuré à partir des Indices de Végétation Normalisés (NDVI, Rouse et al 1974) des fourrages, calculés à partir des données acquises par satellite. SPOT (Satellites Pour l'Observation de la Terre) est un programme de télédétection mis en place en 1978 par la France, en collaboration avec la Belgique et la Suède. La constellation des satellites SPOT fournit des images optiques alliant haute résolution et large champ. Elle offre une capacité d'acquisition qui permet d'obtenir une image de n'importe quel point du globe, sur une couverture complète de la terre en 26 jours. Dans cette étude, une série temporelle d'images SPOT 5 corrélée à des données de terrain échantillonnées ont permis d'élaborer des modèles prédictifs du rendement à partir des valeurs de NDVI (Razafinarivo et al 2016). Le NDVI est un indice de végétation qui estime la densité foliaire, en matière verte (MV) et la capacité des plantes à absorber la lumière solaire pour la convertir en biomasse. Le calcul de cet indice est basé sur la propriété de réflectance du couvert végétal dans les spectres visibles rouge et proche infrarouge obtenues à partir des images satellites. Ainsi, à partir de ces modèles prédictifs du rendement de la biomasse, et d'une image satellite, il sera possible de déterminer le rendement des espèces fourragères de différents sites sans nouvelle mesure sur le terrain (Rahetlah et al 2013).
La capacité de production de la biomasse fourragère, c'est-à-dire de la partie aérienne de la plante, dépend du développement successif de ses différents organes et de l'accumulation de la matière sèche dans chacun de ces organes (Tayeb 1995). Ces phénomènes sont liés à des éléments internes (ex : photosynthèse) et externes (ex: rayonnement solaire) à la plante, et qui interviennent conjointement à la fabrication de la matière sèche. Il est donc opportun d'avoir un outil de mesure ponctuelle de l'évolution de la productivité végétale sans pour autant considérer les antécédents de ces phénomènes qui vont définir la production actuelle. Cette évolution de la production fourragère peut être obtenue à partir de plusieurs mesures dans le temps et dans l'espace pour une espèce déterminée en calculant la moyenne et les tendances de celles-ci suivant les phénomènes intervenant. L'obtention de données via cette méthode est fastidieuse et nécessite plusieurs années de mesures sur le terrain.
Les images satellites disponibles actuellement permettent de mesurer l’évolution de l’activité végétale au cours des différentes saisons. Ainsi, plusieurs images satellites archivées lors des années précédentes (38 images) ont été utilisées pour reproduire l'évolution dans le temps de la production fourragère de différentes espèces. Pour ce faire, les modèles prédictifs du rendement à partir des valeurs de NDVI ont été utilisés sur ces images, pour extraire la production spatio-temporelle des différentes espèces fourragères. Cette pratique permet de retracer le profil temporel de disponibilité moyenne des différentes espèces fourragères durant les 365 jours de l'année. La même procédure a été utilisée sur l'évolution de la teneur en matière sèche (MS) à partir des modèles de prédiction de la teneur en MS des différentes espèces (Figure 2). Ainsi, à un moment donné, il est possible de déterminer à partir de ces courbes une approximation de la quantité moyenne de biomasses disponibles ainsi que le pourcentage en MS des différentes espèces fourragères.
Figure 2. Relation entre rendement en MS et NDVI pour Pennisetum purpureum (Andriarimalala, 2014) |
La capacité de charge animale est un indicateur important pour valoriser les parcelles de façon rationnelle. Il permet d'avoir une idée sur le nombre d’animaux, en unité bovin tropical (UBT) ou unité gros bétail (UGB), pouvant être alimentés par unité de surface (hectare) (Hervé et al 1989). L’UBT et l’UGB sont des variables créées à partir de coefficients permettant de comparer entre eux les différents animaux et de les additionner. L’UGB correspond à un animal dont les besoins en énergie sont de 3 000 UF telle une vache d'environ 600 kg de Poids Vif (PV) et qui peut ingérer jusqu’à 3,0 kg de MS par 100 kg PV. En zone tropicale, une UBT correspond à un bovin de 250 kg PV à l'entretien, consommant 2,5 kg de MS par 100 kg PV. Des coefficients de conversion ont été établis sur divers animaux domestiques herbivores de sorte qu’un bovin adulte, un cheval ou un chameau correspondent à l’UBT et qu’un ovin ou un caprin correspondent à 0,12 UBT (Boudet 1975). La capacité de charge d’une parcelle dépend de la production annuelle du fourrage (kg MS/ha), de la capacité d'ingestion du ruminant et de la durée d’exploitation du fourrage dans l’année. La production annuelle des différentes espèces fourragères est obtenue à partir de l'intégrale de la courbe du profil temporel de disponibilité fourragère entre les bornes 0 et 365 jours (figure 3). Les modèles prédictifs du rendement obtenus à partir des valeurs de NDVI permettent d'avoir la production en MS par unité de surface (Figure 2). La notion de capacité de charge animale présente l'avantage de donner un ordre de grandeur du nombre d'animaux susceptibles d'être alimentés sur chaque parcelle, dans les limites raisonnables d'une exploitation ménageant à peu près les productions à venir.
Dans notre étude, l’utilisation de la modélisation a consisté à regrouper tous les paramètres précédents (production de MV et MS, profil temporel de disponibilité, capacité de charge animale, etc.), en un seul paramètre de sorte qu'à chaque fois qu'une donnée est entrée, des modifications sont produites dans les modèles de la base de données de l'outil pour ressortir les résultats du calcul. L’outil commence par utiliser les modèles prédictifs du rendement en MV et en MS à partir des valeurs de NDVI. Puis, le profil temporel de disponibilité fourragère (figure 3) génère aussi une autre valeur de référence de la quantité de MV et MS en fonction de la date de prédiction. Ensuite les données du rendement des différents fourrages obtenues à partir des valeurs de NDVI sont assimilées dans le profil de disponibilité temporel des différentes espèces fourragères. Ainsi, à chaque acquisition d’image satellite, de nouveaux rendements sont produits pour mettre à jour les paramètres du profil en tenant compte de l’écart mesuré suivant les modifications engendrées par les phénomènes intervenant dans la production de la biomasse.
Ce procédé permet d'estimer l'état et le mode d'exploitation de la parcelle en rapport avec le profil de référence de chaque espèce. Il permet aussi de faire une projection des productions fourragères des différentes espèces sur plusieurs semaines après la date d'acquisition de l'image satellite. Enfin, le nombre d'animaux pouvant être alimentés par les ressources disponibles dans chaque parcelle est estimé à partir de la production de MS prédite par les modèles et la capacité d’ingestion des animaux. Ainsi, il est possible de gérer la mobilité des troupeaux suivant la disponibilité des ressources, dont la répartition spatiale varie au cours de l’année. Cet exercice de modélisation a permis de formaliser les connaissances acquises sous forme d’équations. Les modèles sont ensuite implémentés à l’aide d’un langage de programmation informatique, ce qui permet de faciliter l’usage de ces connaissances.
Une interface cartographique et de pilotage du modèle à partir d’une page Web a été réalisée. Il est à présent possible de dessiner une parcelle sur fond d’image satellite, puis de faire calculer les différents indicateurs pour cette parcelle (estimation de production fourragère, capacité de charge, etc.). Techniquement, l’ensemble a été programmé en langage Javascript qui est un langage permettant de réaliser des applications intégrées à des pages Web. Les bibliothèques de fonction Bootstrap et Leaflet ont été utilisées respectivement pour les parties saisies des paramètres et pour la cartographie interactive. Cette architecture logicielle permet deux modes d’usage du modèle : (i) simulations en local, c’est-à-dire sur un ordinateur personnel sans connexion à l’internet ni serveur Web et (ii) simulations en ligne, le logiciel étant alors résident sur un serveur Web et accessible à travers une connexion Internet. Le but de cette programmation est d'avoir une représentation graphique spatio-temporelle des différentes zones de pâturage dans un espace déterminé. Une mise à jour de la carte est effectuée à chaque fois qu'une nouvelle valeur de NDVI est introduite.
Pour les systèmes d’élevage spatialement extensifs, les données de télédétection sont très intéressantes, principalement pour les parcours avec faible accessibilité. Cependant, des données-clés de terrain sur les ressources fourragères sont nécessaires pour la calibration et la validation des modèles et de l'outil. Les analyses ont porté principalement sur les valeurs minimales et maximales des indices de végétation NDVI des différentes espèces fourragères durant les différentes saisons de l'année. Ces données NDVI ont été extraites de plusieurs images satellites archivées depuis les six dernières années. Elles se rapportent à des parcelles de pâturage naturel permanent dans plusieurs sites de la zone d'étude. En somme, 4 066 indices de végétation ont été extraits sur 38 images satellites et 107 parcelles de pâturage. Ces indices ont permis de retracer les courbes de disponibilité temporelle de 7 espèces de fourrages les plus courantes à Madagascar (Figure 3). Plusieurs variations de la valeur de NDVI ont été enregistrées pour une même espèce fourragère à une même date. Ceci est probablement dû aux différents facteurs qui affectent la valeur de NDVI comme les variations de la réflectance mesurées au niveau d’un capteur satellitaire qui sont liées aux propriétés optiques des feuilles (Girard et al 1999), ou la structure de la végétation et le taux de recouvrement du sol selon les stades phénologiques (Bramley et al 2011). La corrélation entre NDVI et biomasse n’est pas parfaite mais par exemple de 0,52 à 0,73 (Rahetlah V B et al. 2013). Lorsque la végétation est peu couvrante, la réponse spectrale des plantes est affectée par la réflectance des sols. Le signal mesuré par le capteur intègre généralement les réflectances du sol et de la végétation. D'autres hypothèses sont également signalées comme les effets des variations pédoclimatiques dans les différents sites, ou aussi les effets du pâturage des parcelles avant ou après la prise des images qui ont un impact sur la réflectance du couvert. Quoi qu'il en soit, les indices de végétation, insérés au fil du temps, couplés/corrélés à la production de biomasse fourragère, forment une courbe d'une allure sigmoïde, dont la dynamique dépend des conditions du milieu (température, rayonnement, alimentation hydrique et nutrition minérale) et dont l’allure est caractéristique de l’espèce. La courbe de croissance est caractérisée par l’enchaînement de trois phases de développement pour chaque cycle de végétation : une croissance initiale exponentielle pendant la constitution de l’appareil foliaire ; une courte phase intermédiaire linéaire pendant laquelle l’élongation des organes est maximale ; une phase finale de ralentissement jusqu’à la biomasse maximale correspondant à l’accumulation de la matière sèche et une diminution considérable de matière verte. La vitesse de croissance maximale varie peu pour une région donnée, quels que soient la famille et le type morphologique (Klein H.D. 2014). Ainsi, les paramètres de l'équation de ces courbes sont modifiés suivant les valeurs de réflectance du couvert (NDVI). De nouveaux rendements sont prédits par le modèle en gardant toujours la même allure, suivant les nouvelles valeurs de MV et de MS à l'instant de la prédiction. Par projection, ce modèle permet d'avoir une approximation de la production fourragère sur une période de plusieurs semaines après la date d'acquisition de l'image satellite. Cette approche se sert des rendements modélisés sur des dates écoulées et coïncidant avec les conditions historiques du milieu simultanément à des estimations actuelles afin de prédire la biomasse fourragère future (Alhamad et al 2007).
Figure 3. Profil de disponibilité temporel de la biomasse fourragère de 2 fourrages (entre le 01 Janvier et le 31 Décembre ) Bongolava, Madagascar |
Lors de l’étape de calcul des prédictions de la production fourragère des parcelles d'une même espèce sur une image satellite, nous avons constaté que la majorité des valeurs du rendement des parcelles isolées (sous-exploitées) est regroupée au-dessus du 3ème quartile de la boite à moustache, contrairement à celles qui sont sur les bords des routes (surexploitées) qui sont plutôt regroupées en dessous du 1er quartile (Figure 3). Ce constat nous a permis d'élaborer des seuils pour définir l'état d'exploitation d'une parcelle après chaque prédiction. Par conséquent, à chaque prédiction du rendement supérieure au 3ème quartile de la boite à moustache sur un point déterminé de la courbe, l'outil annonce une sous-exploitation de la parcelle. Cela désigne une faible pression animale qui pourrait conduire à un gaspillage des ressources fourragères sans aucune intervention des éleveurs. Cette faible pression est représentée par la coloration verte affichée à chaque délimitation de parcelle dans l'outil.
À l'inverse de cet événement, une prédiction du rendement inférieure au 1 er quartile signifie un surpâturage de la parcelle. Par conséquent, des décisions doivent être prises par les éleveurs sur un arrêt immédiat de l'exploitation de la parcelle. Ces parcelles seront colorées automatiquement en rouge par l'outil. Entre ces deux couleurs se trouvent les parcelles colorées en orange. Elles représentent les parcelles ayant des rendements prédits aux alentours de la courbe de référence. Cela indique qu'il y a assez de biomasses pour alimenter le cheptel.
Dans la pratique, les éleveurs doivent laisser un temps de repos aux parcelles qui sont colorées en rouge, pour envoyer les animaux vers les parcelles colorées en vert. Ces indicateurs colorés (figure 5) peuvent aussi être utilisés comme une « fenêtre de pâturage » (Delagarde 2009) par les utilisateurs de l'outil. Les limites quantitatives maximales et minimales à une période donnée correspondent à des quantités d’herbe au-dessus et en-dessous de laquelle il n’est pas conseillé de pâturer la prairie pour assurer une production animale individuelle satisfaisante. En effet, un excès d'herbe par rapport aux besoins du cheptel entraine une dégradation de sa valeur alimentaire par vieillissement, alors qu'un manque d'herbe conduit par contre à une chute de la production et une dégradation de la prairie par surpâturage (Grignard et al 2015). Cet outil peut aider les exploitants à définir l'instant propice de mise à l'herbe des animaux. Une mise à l'herbe trop précoce peut compromettre le développement futur du pâturage, tandis qu'une mise à l'herbe tardive conduira à un gaspillage de ce dernier. La hauteur de l’herbe à la sortie des animaux va conditionner la repousse (Lefèvre 2010). Une hauteur résiduelle limitée après pâturage conduit à réduire les pertes par sénescence. La durée entre deux passages sur la même parcelle constitue un des ajustements possibles du système fourrager (Pousset 2009). Par conséquent, la qualité de l’herbe offerte à l'animal dépend de ces deux paramètres.
Les systèmes d’exploitation des parcelles fourragères ou des parcours sont liés à la notion de charge animale qui traduit la relation entre le nombre d’animaux et le pâturage disponible. Le taux de charge se résume par le nombre d’unités animales par unité de surface. Il dépend à la fois de la quantité d’herbe disponible, de sa vitesse de croissance, et de la quantité d’herbe volontairement ingérée par l’animal. Cette quantité est déterminée à partir de modèles de prédiction de la MS, qui est spécifique pour chaque espèce fourragère. Le taux d'utilisation du pâturage (Boudet 1975) représente le pourcentage de fourrage disponible après avoir soustrait les pertes dues à divers facteurs comme les insectes ravageurs et le piétinement des animaux. Ce taux d'utilisation est saisi par l'utilisateur de l'outil avec la valeur moyenne de NDVI et la date d'acquisition de l'image satellite (figure 4). À chaque acquisition d'image, la capacité de charge optimale des parcelles est estimée de sorte que les exploitants puissent ajuster le nombre d'animaux sur les différents sites de pâturage après la prédiction pour optimiser la production.
Quand l’offre fourragère n’est pas assez abondante, ou que la charge animale est trop élevée, la consommation par tête diminue et devient inférieure à la capacité d’ingestion. Dans ces conditions, le gain de poids individuel diminue fortement et la végétation risque de se dégrader. A l’inverse, une sous-exploitation de la parcelle provoque un gaspillage et une accumulation des refus conduisant à l'embroussaillement. L’ajustement de l’offre à la demande passe par des décisions d’ajout ou de retrait des animaux de la parcelle de pâturage, lorsque les seuils de déséquilibre au niveau parcellaire sont atteints. Cela permet d’éviter de se retrouver en situation d’excès ou de pénurie d’herbe.
Sous un autre angle de vision, ces données sur les charges animales peuvent aboutir à la notion de trésorerie fourragère (Bourgeois et Krychowski 1981). Comme dans les flux monétaires, le suivi et la comptabilisation des besoins et des dépenses en termes fourragers dans le temps permettent d'établir à tout moment la situation de trésorerie. Ainsi, les besoins fourragers en termes de MS d'une région peuvent être estimés par rapport à la demande pour ensuite établir la différence et déterminer la quantité à importer ou à exporter selon le cas. D'autant plus qu’actuellement, la fréquence d'acquisition d'images satellites est de plus en plus courte, comme le couple Sentinel 2A et 2B qui permet d'obtenir des images tous les cinq jours. Ainsi, ces acquisitions vont permettre d'effectuer des mises à jour régulières de résultats de l'outil pour une exploitation plus précise des données. Enfin, les bonnes pratiques d'exploitation du pâturage conduisent à la durabilité du système ; l’évolution et la durée de vie de la prairie dépendent beaucoup du taux de charge animale, de la stabilité des chargements en adéquation à la pression réelle selon les saisons et les pratiques (Duru et al 1994).
Figure 4. Interface de l'outil de cartographie |
Cet outil a été développé pour saisir des données issues d’acquisitions satellitaires et produire des cartes de la disponibilité de ressources fourragères pour le bétail. Il permet de numériser des parcelles de pâturage géo-localisées sur trois fonds de cartes prédéfinis au choix (Open Street Map, Google Earth, ou Topographique), tout en générant les métadonnées sur la productivité et la charge animale que celles-ci peuvent supporter. Les données sur l'état d'exploitation des sites de pâturages sont traduites automatiquement en indicateur coloré (vert, orange, rouge) pour faciliter la lecture. En somme, cet outil représente une structure de données reconstituées pour rendre compte des phénomènes localisés dans le temps et dans l'espace pour faciliter la prise de décision.
Dans les systèmes spatialement extensifs, il s’avère utile de dresser des cartes de bilan en aliments pour animaux, comme cela a été effectué dans de nombreux pays (Fillol et al 2008). De telles cartes (Figure 5) identifient les sites où les aliments pour animaux sont, soit en déficit, soit en surplus, ce qui peut être résolu par les déplacements du bétail. Ainsi, des cartes de la distribution du bétail pourraient être dressées sur la base des informations sur l’emplacement des pastoralismes, ou des données démographiques de la région. La carte des besoins est alors comparée avec une carte de disponibilité en aliments pour animaux, pour en dresser une carte de surplus ou de déficit, qui s’avère une connaissance utile pour la planification des itinéraires de parcours.
À plus large échelle, ces cartes de distribution du bétail peuvent être utilisées simultanément sur plusieurs régions afin d'évaluer la répartition spatiale des besoins alimentaires du bétail en relation avec la demande. Ces pratiques pourraient être utilisées pour définir les zones importatrices de fourrage, mais aussi de classer les activités selon la disponibilité fourragère (embouche, naisseur, laitière, etc.). Pour finir, cet outil permet d’apporter des conseils à distance aux exploitants sur la gestion et/ou la mobilité de leurs troupeaux par rapport à la disponibilité des ressources (itinéraire des parcours, charge animale, etc.). Des cartes de disponibilité temporelle des ressources fourragères dans les zones clés de l'élevage peuvent être imprimées et distribuées régulièrement suivant les acquisitions des images satellites.
Figure 5. Modèle de cartographie de la biodisponibilité des ressources fourragères |
Nous tenons à remercier le projet BIOVA aux appuis techniques et financiers pour la réalisation de cet article.
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Received 24 April 2017; Accepted 24 June 2017; Published 2 November 2017