Livestock Research for Rural Development 22 (4) 2010 | Notes to Authors | LRRD Newsletter | Citation of this paper |
Dans le but de mieux opérationnaliser la notion de charge animale, nous avons défini un Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale (IIUP) en fonction de la charge animale instantanée, de la durée annuelle d’utilisation du parcours en liaison avec les types de circuits de pâturage mis en œuvre, la part des parcours dans le régime alimentaire du troupeau et l’existence éventuelle d’une période de repos du parcours au printemps. Cette approche a été testée sur une centaine de parcelles représentatives des steppes à Rhanterium suaveolens et Stipa tenacissima, caractéristiques du sud tunisien. Ces parcelles ont fait l’objet : 1) de mesures écologiques afin d’en caractériser l’état, et 2) d’enquêtes qualitatives concernant les modes d’usage pastoral.
Une relation claire a été mise en évidence entre la valeur de l’IIUP et l’état des parcelles : dans les steppes à R. suaveolens, près de 50 % des parcelles ayant un IIUP faible à modéré sont classées en bon état ; elles ne sont plus que 26 % si l’IIUP est fort. La relation est encore plus tranchée sur les steppes à S. tenacissima. Cet indice demande néanmoins à être affiné, calibré et testé dans des situations contrastées pour en évaluer son caractère heuristique.
Mots-clé: Capacité de charge, écologie pastorale, gestion intégrée des troupeaux, Tunisie
With the aim of making possible better applications of the grazing pressure concept, we defined a Pastoral Use Intensity Index (IIUP) in relation to the instantaneous stocking rate, the annual use of the rangeland, the type of livestock grazing management, the level of complementation and an eventual resting period during spring. This index was tested on about one hundred parcels located within the Rhanterium suaveolens and Stipa tenacissima steppes which are characteristic of rangelands found in South Tunisia. In each field, ecological measures were performed in order to characterize range condition, and a qualitative survey related to herd and pastoral management was realized.
We found a clear relationship between IIUP value and range condition: in R. suaveolens steppes about 50 % of rangelands with a low or moderate IIUP were classified in good condition, while they were only 26 % when IIUP was high. This relationship was still stronger in S. tenacissima steppes. The IIUP index seems to be a useful tool for livestock management on extensive rangelands. However, it needs to be calibrated and tested within different range situations in order to evaluate its heuristic character.
Keywords: Carrying capacity, integrated herd management, pastoral ecology, Tunisia
La caractérisation de la pression pastorale constitue l’un des enjeux majeurs des domaines de l’écologie des parcours et de la gestion des troupeaux en élevage extensif. Son estimation est le plus souvent rapportée à la mesure du rapport entre le nombre d’animaux utilisateurs du parcours et sa superficie. Cependant, la notion de pression pastorale relève de processus complexes relevant aussi bien des variations intra et interannuelles de l’environnement et des espèces végétales en présence, que des types d’animaux mobilisés et de leur comportement alimentaire, ou encore des modes de conduite du troupeau mis en place par l’éleveur et, plus généralement, des modes de fonctionnement de l’activité d’élevage (Behnke et Scoones 1993). Les notions de charge animale et de capacité de charge sont le plus souvent employées pour aborder la problématique de la pression de pâturage et de l’impact des troupeaux sur l’intégrité des milieux (Daget et Poissonet 1972). Mais leur emploi est délicat, notamment dans les zones arides, étant données les fortes imprédictibilités des conditions climatiques, l’hétérogénéité des milieux et la complexité des droits et des modes d’usages des parcours. D’autre part, alors qu’elles peuvent être très utiles en écologie pastorale pour des approches comparatives sur la qualité de parcours, ces notions apparaissent peu opérationnelles pour orienter des modes de conduite d’élevage plus respectueux de l’écologie de ces milieux.
Après une brève analyse critique de la notion de capacité de charge animale et en nous appuyant sur l’exemple de deux types de parcours communs dans le sud tunisien, nous proposons ici la définition d’un Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale (IIUP) qui tente d’intégrer des données relatives aux conditions et modalités d’usages du parcours afin de le mettre en correspondance avec l’état de la végétation.
L’art de compter les moutons… : Brève analyse critique de la notion de capacité de charge
Le pâturage d’herbivores sauvages et domestiques implique une certaine prédation de la végétation. Cette prédation revêt différentes formes, pouvant aller jusqu’à la dégradation totale et la disparition de la végétation. Cependant, dans la majorité des cas, les interactions entre les herbivores et la végétation font intervenir des mécanismes complexes avec toutes sortes de feed-back négatifs et positifs, qui peuvent aussi parfois favoriser un bon fonctionnement des écosystèmes pâturés. De plus, la conduite des troupeaux de la part des bergers permet d’établir des équilibres entre la croissance de la végétation et des besoins temporalisés des animaux.
La notion de capacité de charge a été un concept très utilisé par les pastoralistes pour évaluer la « bonne gestion » des parcours (Bartels et al 1993). D’une manière générale, la capacité de charge est un ratio, défini par le nombre maximum d’herbivores qui peuvent pâturer sur une surface donnée sans détérioration de la végétation. Elle est calculée le plus souvent à partir de la biomasse - parfois de la production annuelle de phytomasse - et d’unités animales standard (UO : Unités ovines, UBT : unité bovin tropical, etc.) permettant de caler le niveau de prélèvement en fonction de l’ingestion journalière. Elle se réfère aussi, au moins théoriquement, à une période de temps (année, saison, mois). Plusieurs aménagements de ce calcul ont été proposés pour préciser certains éléments comme la valeur fourragère des espèces végétales présentes ou même les teneurs en matières azotées totales (Hobbs et Swift 1985). De plus des distinctions ont été proposées pour préciser les objectifs de durabilité visés : durabilité écologique ou économique (Caughley 1979).
Il n’en reste pas moins que cette notion pose beaucoup de problèmes d’opérationnalité (Roe 1997 ; De Leeuw et Tothill 1993). En effet, la formulation initiale de la charge animale fait référence à un espace délimité et fermé, et dont la couverture végétale est supposée homogène. Or, sur les parcours, et particulièrement en zones arides, la biomasse végétale totale présente à un moment donné sur un territoire varie au cours du temps en fonction de la saison et du climat de l’année, de la diversité des types végétaux et de leurs stades phénologiques, ainsi que d’éventuels passages de troupeaux au préalable. D’autre part, toute la biomasse n’est pas consommable par les animaux, laquelle dépend de la présentation des végétaux (tissus lignifiés, présence d’épines, de poils, etc.), des caractéristiques chimiques des plantes (qualité nutritionnelles, présence de substances anti-nutritionnelles, goût, etc.), de leur répartition au sein du parcours et de bien d’autres facteurs liés aux conditions physiques des parcours (pente, accessibilité, microclimat, etc.) et aux caractéristiques des animaux (espèces, âge, état physiologique, apprentissage préalable, etc.) en interactions complexes.
Dans une optique pastorale, la problématique liée à la notion de capacité de charge pourrait même être complètement retournée par rapport à sa définition de base, à savoir : connaître la quantité de fourrages disponibles sur un territoire qui permettrait à une population animale (un troupeau par exemple) d’obtenir de manière durable les éléments nécessaires à son alimentation, en fonction des besoins physiologiques et productifs des animaux en présence et de leur mode de conduite.
En effet, dans les communautés pastorales et agropastorales d’aujourd’hui, les ressources fourragères disponibles pour l’alimentation du bétail sont le plus souvent multiples (parcours hétérogènes, cultures, jachères, résidus de cultures, fourrages provenant de l’extérieur, concentrés) et sont intégrées dans un calendrier d’alimentation résultant de choix effectués par l’éleveur en fonction de ses opportunités et contraintes, et des objectifs qu’il assigne à son activité d’élevage. Le pâturage sur parcours constitue un des maillons de cette chaîne aboutissant à la constitution d’un régime alimentaire. L’évaluation de la charge animale réelle sur un milieu devrait en toute logique intégrer l’ensemble des éléments de cette chaîne, mais ceci demande une grande quantité d’information et pose des problèmes méthodologiques d’intégration encore non résolus.
Dans le cadre d’un programme de recherche sur la désertification en Tunisie (Programme Jeffara: Programme de recherche conjoint intitulé « La désertification dans la Jeffara tunisienne : pratiques et usages des ressources, techniques de lutte et devenir des populations rurales », IRA, IRD, CRDA de Médenine et Gabès), nous nous sommes intéressés aux dynamiques d’usages des ressources naturelles dans le contexte de la Jeffara septentrionale, région située autour de la ville de Médenine et présentant des caractéristiques marquées d’aridité (pluviométrie annuelle entre 100 et 200 mm), de risques de désertification (mouvements de sable, érosion, pression sur les ressources en eau) et des mutations socio-économiques profondes (Genin et al 2006a).
La végétation typique de cette région est constituée par des steppes à dominante de chaméphytes pérennes se développant sur des sols encroûtés généralement peu évolués. Ces steppes ont constitué le support d’une activité dominante d’élevage extensif mobile qui remonte très loin dans l’Histoire. Depuis la deuxième moitié du 20e Siècle, on assiste à des mutations profondes dans les systèmes de production (Genin et al 2006b) et dans les dynamiques territoriales locales (Guillaume et al 2006), en particulier avec le développement spectaculaire de l’olivier. L’analyse diachronique des milieux par images satellites a montré qu’entre 1972 et 2000, la superficie de steppes a été réduite de près de 40 % (Hanafi 2008). L’activité d’élevage a elle aussi connu des mutations profondes ; aujourd'hui, elle représente le plus souvent une activité productive secondaire au sein des exploitations de la Jeffara, mais reste toujours largement pratiquée. Les troupeaux sédentaires d’ovins et de caprins sont maintenus grâce au pâturage sur les steppes résiduelles avoisinantes des exploitations et à l'emploi de plus en plus prégnant d'aliments achetés à l'extérieur de l'exploitation (Cialdella 2005 ; Genin et al 2006b).
Nous avons échantillonné au printemps 2003 quatre vingt dix neuf parcelles de steppes à Rhanterium suaveolens (n=49) et Stipa tenacissima (n=50) qui sont les milieux de parcours représentatifs de la zone. Ces parcelles ont fait l’objet 1) de mesures écologiques afin d’en caractériser l’état et, 2) d’enquêtes qualitatives concernant leurs modes d’usage pastoral.
Il s’agit de décrire :
+ Les caractéristiques physiques de la parcelle (site géomorphologique, superficie, substrat pédologique, état de surface, pente, pluviométrie moyenne annuelle, distance du siège de l’exploitation)
+ Les caractéristiques écologiques : deux types de mesures de végétation ont été couplés aux données de l’enquête - parcelle
Elle est obtenue par la méthode d’analyse linéaire des « points quadrats » (Daget et Poissonet 1972) : cette méthode consiste à l’observation de la présence-absence des espèces végétales tous les 20 cm sur 4 lignes de 20 m de longueur chacune ce qui a permis d’avoir une évaluation de la couverture totale de la végétation, la couverture des pérennes ainsi que la contribution spécifique présence (CSP) de chaque espèce observée.
Cette mesure consiste à compter le nombre des nouvelles espèces végétales présentes dans un carré de 32m²/station considéré comme aire minimale dans les régions arides tunisiennes (Floret et Pontanier 1982).
Elles ont été réalisées sous la forme d’entretiens semi directifs sur les lieux mêmes de la parcelle, et ont abordé deux principaux thèmes :
Il s’agit de décrire les aspects relatifs au statut de la parcelle ainsi qu’à ses formes d’usages (droit d’accès, types et calendriers d’utilisation, précédent cultural et de mise en défens de la parcelle…),
Cette partie intègre les aspects relatifs au(x) troupeau(x) utilisateur(s) de la parcelle ainsi qu’à la place de l’élevage dans le système de production général (taille du troupeau, espèce animale dominante, mobilité, type de conduite de l’alimentation, place de l’élevage dans le système de production, taille de l’exploitation agropastorale, activité extra-agricole…)
Les données recueillies à partir des enquêtes et des mesures de végétation ont été intégrées et harmonisées dans deux bases de données en séparant les steppes à Rhanterium suaveolens de celles à Stipa tenacissima. Ces bases de données comportent une vingtaine de variables subdivisées en une cinquantaine de modalités, dont certaines ont été mobilisées pour l’analyse des relations végétation - usages pastoraux (Tableau 1). Les variables individuelles ont été analysées à l’aide des méthodes statistiques classiques (moyennes, variances, corrélations, analyses de variances simples). Elles ont parallèlement fait l’objet d’une analyse globale, sous la forme d’Analyses Factorielles des Correspondances Multiples que nous ne détaillerons pas ici, mais qui ont permis de caractériser les variables et les interactions les plus signifiantes. Une étude détaillée est présentée par Hanafi (2008).
A partir des tests de sensibilité des variables (Hanafi 2008) et dans l’objectif de préciser les modes de conduite des troupeaux pour mieux caractériser la pression pastorale exercée par l’activité d’élevage sur les milieux, nous avons défini un Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale IIUP de la manière suivante :
Où :
NA: nombre d’animaux, en Unités Ovines (UO).
NMU : Nombre de mois d’utilisation du parcours sur l’année (variable continue de 0 à 12)
TU : intensité d’usage lors des périodes de pâturage (variable qualitative: continue = 1, ou diffuse dans des circuits de pâturage diversifiés = 0,5)
PPA : Part des parcours dans le régime alimentaire des animaux
Cinq cas : 0 % = 0 ; entre 0 et 20 % = 0,1 ; entre 20 et 50 % = 0,3 ; entre 50 et 90 % = 0,7 ; Plus de 90 % = 1
PRP : période de repos au printemps : si le parcours n’est pas pâturé au printemps, PRP = 0,5, sinon PRP = 1)
SP : superficie du parcours en hectares
12 correspond aux douze mois de l’année
Cet indice a été calculé sur les cent parcelles étudiées et mis en correspondance avec l’état des parcelles.
Tableau 1. Variables et modalités retenues pour l’analyse de l’enquête végétation-usages |
|
Variables |
Modalités |
I- Variables phytoécologiques |
Modalités |
TVS : Faciès de Végétation dans la steppe à Stipa |
TVS1 : Stipa; TVS2 : Armoise ; TVS3 : Romarin |
TVR : Faciès de Végétation dans la steppe à Rhanterium |
TVR1 : Rhanterium; TVR2 : Helianthemum, TVR3 : Armoise champêtre |
ETA : État de dégradation de la végétation |
ETA1 : dégradé ; ETA2 : moyen ; ETA3 : bon état |
II- Variables physiques |
Modalités |
PEN : Pente, % |
PEN1 : faible (0-3) ; PEN2 : moyenne (3-5) ; PEN3 : forte (> 5) |
PLU : Pluviométrie, mm/an |
PLU1 : 150-200 ; PLU2 : > 200 |
DSE : Distance du Siège de l’Exploitation, km |
DSE1 : 0-2 ; DSE2 : 2-5 ; DSE3 : 5-10 ; DSE4 : > 10 |
III- Variables liées à l’usage |
Modalités |
S/U : Statut et Usage de la parcelle |
S/U1 : individuel ; S/U2 : familial ; S/U3 : collectif |
PU : Période d’Usage de la végétation |
PU1 : toute l’année ; PU2 : saisonnièrement ; PU3 : occasionnellement |
TU : Temporalité de l’Usage |
TU1 : circuit de pâturage continu ; TU2 : circuit de pâturage diffus |
MD : Mise en Défens
|
MD1 : longue période (>1 an) ; MD2 : saisonnière au printemps ; MD3 : saisonnière autre |
IV- Variables liées au troupeau |
Modalités |
TCT : Type de Conduite du Troupeau |
TCT1 : sédentaire ; TCT2 : transhumant |
TEA : Espèce Animale dominante (> 2/3 de l’effectif) |
TEA1 : ovins ; TEA2 : caprins ; TEA3 : mixte |
DC : Dépendance à la Complémentation, % |
DC1 : faible (<20 % du régime) ; DC2 : moyenne ; DC3 : forte (>70 %) |
CAI : Charge Animale Instantanée, UO/Ha |
CAI1 : faible (0-3) ; CAI2 : moyenne (3-15) ; CAI3 : forte (> 15) |
Le recouvrement total de la végétation (RT) constitue un bon indicateur de l’état des parcours si les formations végétales en présence sont bien connues. Cependant les types de plantes (en particulier la proportion des pérennes dans le recouvrement : %PER), ainsi que la diversité floristique constituent aussi des indicateurs intéressants de la condition de la végétation (Jauffret 2001).
Dans les steppes à Stipa tenacissima, le recouvrement total moyen dans les 50 parcelles mesurées a été d’environ 28 %, avec des valeurs dépassant les 30 % dans 44% des cas et des recouvrement totaux faibles (< 20%) dans 20 % des cas (Tableau 2). Ces valeurs se situent dans l’intervalle supérieur reporté dans la littérature pour des zones comparables (Floret et Pontanier 1982 ; Jauffret 2001). Cette importante couverture s’accompagne paradoxalement d’une faible diversité floristique (Tableau 2), étant donné le caractère très dominant de Stipa lorsque la pression anthropique est faible (la part des pérennes dans le recouvrement total, représentée essentiellement par S. tenacissima, est supérieure à 40 % dans 66 % des cas).
Tableau 2. Répartition des parcelles enquêtées (%) selon les classes de recouvrement total de la végétation (RT) et la diversité floristique (DF) des steppes à Stipa tenacissima |
||||
|
DF |
|||
1 : (0-15 sp) |
2 : (15-20 sp) |
3 : (>20 sp) |
Total |
|
1 : (0-20 %) |
4 |
6 |
10 |
20 |
2 : (20-30 %) |
8 |
16 |
12 |
36 |
3 : (>30 %) |
22 |
18 |
4 |
44 |
Total |
34 |
40 |
26 |
100 |
Dans les parcours à Rhanterium suaveolens, le recouvrement total moyen a été de l’ordre de 49 % (rang 31-66 %) (Tableau 3). Ces valeurs élevées sont dues à la part importante des espèces annuelles dans le recouvrement total (la part des pérennes dans le recouvrement total est inférieure à 40 % dans 78 % des cas), expliquée par les bonnes conditions pluviométriques de la saison durant laquelle ont été effectuées les mesures (printemps 2003).
Tableau 3. Répartition des parcelles enquêtées (%) selon les classes de recouvrement total de la végétation (RT) et la diversité floristique (DF) des steppes à Rhanterium suaveolens |
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|
DF |
|||
1 : (10-15 sp) |
2 : (15-20 sp) |
3 : (>20 sp) |
Total |
|
1 : (30-40%) |
6 |
8 |
0 |
14 |
2 : (40-50%) |
17 |
23 |
2 |
42 |
3 : (>50%) |
4 |
13 |
27 |
44 |
Total |
27 |
44 |
29 |
100 |
La combinaison de ces trois indicateurs (RT, %PER, DF) a permis de différencier les parcelles en trois états : dégradé, moyen, bon (Tableau 4).
Tableau 4. Répartition des parcelles enquêtées (%) sur les trois états de dégradation dans les parcours de la Jeffara en 2003 |
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Etat |
Steppe à Rhanterium |
Steppe à Stipa |
Dégradé |
14,3 |
16 |
Moyen |
40,8 |
54 |
Bon état |
44,9 |
30 |
Total |
100 |
100 |
Sur l’échantillon de parcelles observées, l’Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale a varié de 0 (aucune utilisation pastorale) à des valeurs proches de 30 dans le cas des milieux à Rhanterium, et de 0 à 65 dans le cas des milieux à Stipa. Néanmoins après analyse des fréquences et des composantes de détermination de l’indice, l’IIUP a été regroupé dans les deux cas en trois classes que l’on pourrait définir comme suit :
IIUP1 (entre 0 et 1) : Intensité d’Utilisation Pastorale faible
IIUP2 (entre 1 et 5) : Intensité d’Utilisation Pastorale modérée
IIUP3 (>5) : Intensité d’Utilisation Pastorale forte
Les figures 1 et 2 montrent la répartition des parcelles observées en fonction de l’Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale et de leur état. Il apparaît une relation claire : dans les steppes à Rhanterium, près de 50 % des parcelles ayant un IIUP faible à modéré sont classées en bon état ; elles ne sont plus que 26 % si l’IIUP est fort. Cette constatation est encore exacerbée dans le cas des steppes à Stipa où il n’a pas été échantillonné de parcelles en bon état ayant un IIUP de classe 3. Par contre, 34 % des parcelles ayant un IIUP3 sont répertoriées en état dégradé, alors qu’elles ne sont classées dans cet état que dans 7 et 15 % des cas si l’IIUP est modéré ou faible.
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Si l’on effectue seulement le calcul du rapport entre le nombre d’animaux utilisateurs du parcours et la superficie de ce dernier – calcul qui correspond en fait à la charge animale instantanée (CAI) et qui est bien souvent le moyen utilisé classiquement pour donner des indications de la pression pastorale -, les valeurs obtenues dans notre échantillonnage varient de 0 à 79 U.O./ha dans le cas des steppes à Rhanterium, et de 0 à 130 dans le cas des steppes à Stipa. Ces chiffres montrent les disparités que ce type de calcul peut entraîner : pour une même valeur, on peut avoir dans un cas un troupeau dépendant toute l’année du parcours considéré pour la totalité de son alimentation, dans un autre cas un troupeau, largement complémenté par ailleurs, utilisant de manière occasionnelle le parcours. La Charge Animale Instantanée conduit généralement à une surévaluation de la pression pastorale et gomme un certain nombre d’indicateurs importants pour envisager d’éventuelles modulations dans la conduite du troupeau dans une optique de préservation du parcours. Dans d’autres contextes, certaines études ont montré qu’une charge animale instantanée forte, limitée dans le temps et associée à une complémentation raisonnée, pouvait constituer un outil de gestion de parcours embroussaillés et favoriser la reprise écologique du milieu (Perevolotski et Seligman 1998 ; Genin 1986).
Le calcul des corrélations entre les valeurs de CAI et d’IIUP dans les parcelles échantillonnées matérialisent la surévaluation de la pression pastorale dans le cas du seul calcul de la charge animale instantanée (pentes de 0,35 et 0,44, respectivement pour les steppes à Rhanterium et Stipa). Les valeurs des coefficients de détermination (R²) entre ces deux indicateurs (0,75 et 0,67, respectivement) confirment, d’une part, l’importance de la taille des troupeaux et de la structure du parcours dans l’estimation de la pression pastorale, mais aussi, d’autre part, l’intérêt de la prise en compte du type de conduite des animaux pour son estimation.
L’intérêt majeur de l’Indice d’Intensité d’Utilisation Pastorale (IIUP) tel que nous l’avons défini réside, à notre avis, dans le fait que l’on peut introduire des aspects nettement fonctionnels concernant les modes de conduite des troupeaux dans la notion de charge animale et de dépasser une simple relation numérique entre un nombre d’animaux et la superficie du parcours. Son principal écueil concerne la quantité d’information à mobiliser et traiter, puisque le calcul de l’IIUP nécessite à la fois des mesures écologiques pour évaluer l’état du parcours et des enquêtes semi directives auprès des éleveurs. Cependant, il constitue potentiellement un outil efficace pour mieux caractériser la pression pastorale et envisager des formes de gestion intégrée des troupeaux et des parcours plus respectueuses de l’intégrité des milieux. Il demande néanmoins à être affiné, calibré et testé dans des situations diversifiées pour en évaluer son caractère heuristique.
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Received 1 March 2010; Accepted 11 March 2010; Published 1 April 2010