Livestock Research for Rural Development 20 (5) 2008 | Guide for preparation of papers | LRRD News | Citation of this paper |
Les meilleures conditions de transfert du tilapia Oreochromis niloticus, de l’eau douce en eau salée, en vue de la maîtrise ultérieure de son élevage en milieu lagunaire ont été recherchées. Des alevins (8 à 12 g) ont été transférés, soit directement, soit de façon progressive, de l’eau douce (0‰) à des eaux de salinités variables. Le taux de survie est suivi durant 3 semaines.
Jusqu’à 17‰, le transfert direct de l’eau douce à l’eau salée se traduit par un taux de survie élevé (84,3% à 96,8%). Au-delà de 17‰, les mortalités sont importantes. En revanche, lorsque le transfert est réalisé de façon progressive, de fortes salinités (30‰) peuvent être atteintes, avec un taux de survie élevé (78 à 81%). Le transfert progressif, par délai de 2 jours, semble meilleur en terme de gain de temps que ceux de 4 jours et de 6 jours.
Mots-clés: eau douce, eau saumâtre, élevage, passage, poisson
The best conditions of transfer of the tilapia Oreochromis niloticus, from fresh water to salt water, for the later control of its breeding in lagoon was carried out. Fingerlings (8 to 12 g) were transferred, either directly or in a progressive way, from fresh water (0%) to water of variable salinities. The rate of survival of fish was given over a period of 3 weeks breeding.
Until 17‰, the direct transfer of fishes from fresh water to salt water gives a high rate of survival (84.3% to 96.8%). Beyond 17‰, mortalities are significant. On the other hand, when the transfer is carried out in a progressive way, high salinities (30‰) can be reached, with a high rate of survival (78 to 81%). The progressive transfer, by 2 days deadline, seems better in term of saving of time to those of 4 or 6 days.
Key words: brackishwater, breeding, fresh water, fish, passage
La pisciculture en Afrique est une technique d’introduction récente, qui a connu ses premiers balbutiements vers les années 1920 au Kenya et 1930 au Zaïre (Kestemont et al 1989). Bien que de nombreuses espèces parmi lesquelles, Clarias gariepinus, Chrysichthys nigrodigitatus, et Heterobranchus longifilis font actuellement l’objet de recherche dans le cadre de la diversification des espèces piscicultivables, les tilapias représentent les principales espèces élevées (Pullin 1996). La production est constituée par 95% de Oreochromis spp. et leurs hybrides, Oreochromis niloticus étant l’espèce dominante. Sa croissance rapide, sa fécondité élevée et sa résistance aux eaux de pauvre qualité, en font une espèce de choix en pisciculture (Mair 2000). Ses potentialités ont conduit plusieurs auteurs à entreprendre, jusqu’à présent sans succès des recherches en vue de son élevage en milieu saumâtre (Villegas 1990, Watanabe et Kuo 1985, Rakocy et al 1993). Selon Doudet (1992), environ 50% des poissons meurent lorsqu’ils sont transférés en milieu lagunaire ivoirien. Il attribue ces mortalités au développement de nombreuses pathologies. De sorte qu’à ce jour, aucun élevage de Oreochromis niloticus n’est signalé en milieu lagunaire ivoirien. Et pourtant, l’élevage de l’espèce dans ce milieu pourrait présenter d’énormes avantages. En effet, malgré la croissance rapide de l’espèce en eau douce, des problèmes de contrôle de la population subsistent encore. Sa très grande faculté de reproduction crée une surpopulation de petits poissons dans les étangs. Ceux-ci entrant en compétition alimentaire avec les individus élevés pour leur chaire. Il s’ensuit alors un phénomène de nanisme, observé dans la plupart des étangs d’élevage. Les travaux de Chervinsky et Yashouv en 1981 ont par exemple montré chez Oreochromis aureus, élevé 6 mois en mer, qu’il ne se reproduit plus. Les individus élevés sont donc ceux qui sont produits à la fin de l’élevage. Les facultés de reproduction de Oreochromis niloticus pourraient donc être réduites en eaux salées.
La Côte d’Ivoire possède un réseau hydrologique important avec environ 1 200 km2 de plans d’eaux lagunaires, de profondeur dans la plupart des cas ne dépassant pas 3 mètres. Ces zones saumâtres représentent donc des milieux propices pour la pisciculture. D’ailleurs, divers projets de recherche-développement, initiés par l’Etat ivoirien, en vue d’exploiter ce milieu important, ont vu le jour (Hem et al 1994). Ces recherches se sont limitées essentiellement aux espèces de tilapia autochtones (Tilapia guineensis et Sarotherodon melanotheron), adaptées au milieu saumâtre, mais aux potentialités de croissance médiocres (Hem et al 1994).
Des études approfondies en vue de déterminer l’intervalle de salinité optimal à la survie et au développement de Oreochromis niloticus pour tirer profit de ses grandes potentialités aquacoles est sans doute l’une des voies à explorer. Elles permettront de valoriser les vastes systèmes lagunaires dont dispose la Côte d’Ivoire. C’est l’objectif que vise le présent travail, réalisé dans des conditions de laboratoire.
Des alevins de Oreochromis niloticus, de poids compris entre 8 et 12 g, ayant séjourné à jeun, pendant une semaine dans un bassin d’alevinage d’une ferme piscicole, ont servi pour les expériences. Des tests préliminaires, utilisant du O-Toluidine, pratiqués sur l’eau de ville, n’ont pas révélé la présence d’eau de javel, source de chlore, nocif pour les poissons. Au laboratoire, ceux-ci sont nourris à volonté (matin et soir), à l’aliment tilapia, sous forme de farine, de fabrication IVOGRAIN, sauf la veille et le jour des manipulations. Toutes les expériences ont été réalisées dans les conditions de température et de photopériode de la saison.
Le matériel technique est constitué de 6 aquariums de volume d’eau utile de 84 litres. Ceux-ci sont munis chacun de filtre-moteurs (pompes) et de bulleurs. La pompe réalise un circuit fermé, tout en provocant un jet d’eau continu pour l’oxygénation. Du sel marin (Aqua medic) a permis de préparer les différentes salinités. Un salinomètre (Tetracon 325) et un pH-mètre (pH 500) ont permis la détermination de la salinité (exprimée en ‰ ou en g/l) et du pH des différentes milieux. Tous ces paramètres abiotiques sont relevés tous les matins entre 8 H et 10 H.
Trois types d’expériences ont été réalisées. Chaque expérience comprend différentes lots de 16 alevins, répartis pour chacun des lots, dans un aquarium. Chacune des 3 expériences a été réalisée en duplicat. Les inspections sont faites tous les matins entre 8 H et 10 H et tous les soirs entre 17 H et 18 H. Les mortalités sont constatées selon les critères suivants :
- la position du poisson dans la colonne d’eau. La présentation d’un des flancs est signe d’une perte d’équilibre et donc d’une mort certaine ;
- L’absence de mouvement de l’opercule est également une indication de la mort du poisson ;
- l’absence de mouvement du poisson à l’approche de l’observateur est aussi un indice de mort.
L’expérience 1 a été réalisée entre septembre et novembre 2005. Elle a consisté à transférer directement, au même moment, les alevins dans des milieux de salinités différentes (0‰, 10‰, 16‰, 22‰, 28‰ et 35‰) et à les suivre durant 21 jours. La température et le pH n’ont pas varié significativement d’une salinité à une autre. Les valeurs moyennes ± Ecart Type sont de pH = 6,69 ± 0,08 et de T = 25,31 ± 0,56 °C.
L’expérience 2 a quant à elle été réalisée entre décembre 2005 et février 2006. Les salinités de l’eau auxquelles cette expérience a été tenue sont : 0‰, 17‰, 18‰, 19‰, 20‰ et 21‰. Comme précédemment, la température et le pH n’ont pas varié significativement (pH = 6,56 ± 0,16 et de T = 26,44 ± 0,49°C).
En ce qui concerne l’expérience 3, réalisée entre février et avril 2006, 3 lots de 16 alevins chacun ont été soumis de façon progressive aux salinités suivantes : 16‰, 20‰, 25‰ et 30‰. Le lot 1 a été suivi par délai de 2 jours entre 2 salinités différentes, le lot 2 par délai de 4 jours et le lot 3 par délai de 6 jours. Les 3 lots ont été transférés le même jour, de l’eau douce à la salinité de 16‰. La température et le pH n’ont également pas varié significativement. Les valeurs moyennes ± Ecart Type sont de pH = 6,96 ± 0,18 et de T = 26,66 ± 0,46°C.
Les paramètres biologiques suivis sont le taux de survie [(Nombre de poissons survivants à un temps t/nombre de poissons mis en charge)x100] et le taux de survie relatif [(taux de survie à la salinité X‰/taux de survie à la salinité 0‰)x100].
Différentes tests statistiques ont été appliqués aux différentes valeurs observées. Des tests non paramétriques ont été utilisés compte tenu de la petite taille des échantillons. Le test de Kruskal-Wallis, pour comparer les données dans leur ensemble et révéler ainsi des différences significatives entre les groupes et celui de Mann-Withney, lorsque la différence globale est significative, pour les comparer deux à deux. Tous ces tests ont été appliqués au seuil de signification de 0,05 grâce au logiciel R 2.0.1.
Le taux de survie dans l’expérience 1 est de 100% durant les 6 premiers jours de transfert à 0‰, les 9 premiers jours à 10‰ et les 15 premiers jours à 16‰ (tableau 1)..
Tableau 1. Taux de survie par périodes de 3 jours des alevins de Oreochromis niloticus transférés directement de l’eau douce (0‰) à des milieux de salinités de 0‰, 10‰, 16‰, 22‰, 28‰ et 35‰ |
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Taux de survie par périodes de 3 jours |
Salinité du milieu d’élevage, ‰ |
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0 |
10 |
16 |
22 |
28 |
35 |
|
J1- J3 |
100 |
100 |
100 |
40,6 |
00 |
00 |
J4- J6 |
100 |
100 |
100 |
31,1 |
00 |
00 |
J7- J9 |
93,7 |
100 |
100 |
31,1 |
00 |
00 |
J10- J12 |
90,6 |
96,8 |
100 |
31,1 |
00 |
00 |
J13- J15 |
90,6 |
96,8 |
100 |
31,1 |
00 |
00 |
J16- J18 |
87,7 |
96,8 |
96,8 |
31,1 |
00 |
00 |
J19- J21 |
87,5 |
96,8 |
96,8 |
28,1 |
00 |
00 |
Concernant les milieux 10‰ et 16‰, après une légère baisse, le taux de survie se stabilise à 96,8% jusqu’à la fin de l’expérience. A 0‰, cette variation est un peu plus importante, si bien qu’à la fin des 21 jours d’élevage, le taux de survie est de 87,5%. En ce qui concerne la salinité de 22‰, le taux de survie enregistré les 3 premiers jours se situe à 40,6%. Ensuite, il chute à 31,1%, marque un plateau jusqu’au 20ème jour. A la fin de l’expérience, il est de 28,1%. Aux salinités de 28‰ et 35‰, tous les poissons sont perdus (taux de survie = 0%) dès les 3 premiers jours de transfert. En réalité, la moitié des poissons (16/32 alevins) sont perdus le premier jour de transfert à 28‰ et l’autre moitié le deuxième jour (résultat non montré). A 35‰, tous les poissons (32/32 alevins) sont perdus dès le premier jour de transfert (résultat non montré).
Le test de Mann-Withney, appliqué deux à deux aux taux de survie enregistrés dans les différentes milieux a donné les résultats consignés dans le tableau 2.
Tableau 2. Résultats du test de Mann-Withney, comparant deux à deux, les milieux de salinités différentes, lors du transfert direct des alevins de l’eau douce vers ces milieux. |
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Salinité, ‰ |
Salinité du milieu d’élevage, ‰ |
|||||
0 |
10 |
16 |
22 |
28 |
35 |
|
0 |
1 |
0,0853 NS |
0,0401 S |
0,0016 S |
0,0010 S |
0,0010 S |
10 |
|
1 |
0,3338 NS |
0,0014 S |
0,0008 S |
0,0008 S |
16 |
|
|
1 |
0,0013 S |
0,0007 S |
0,0007 S |
22 |
|
|
|
1 |
0,0007 S |
0,0007 S |
28 |
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1 |
1 |
35 |
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1 |
S = différence significative ; NS = différence non significative |
Aucune différence significative n’est signalée entre les taux de survie enregistrés en eau douce (0‰) et 10‰. De même qu’il n’est signalé aucune différence significative entre 10‰ et 16‰ d’une part et entre 28‰ et 35‰ d’autre part. Par contre des différences significatives sont notées entre 0‰ et 16‰ et les autres salinités entre elles.
Sur toute la période de l’expérience, le taux de survie relatif est de 110,6% à 10‰ et 16‰, tandis qu’à 22‰, il n’est que de 32,1% (Figure 1). A 28‰ et 35‰, il est de 0%.
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Le taux de survie dans l’expérience 2 est de 100% durant les 3 premiers jours de transfert à 0‰ et 17‰ (tableau 3). Par la suite, il subit une légère diminution pour respectivement se stabiliser à 81,2% et 84,3%. Aux salinités supérieures à 17‰, le taux de survie enregistré les 3 premiers jours d’élevage diminue en fonction de la salinité du milieu. A la fin de l’expérience, le taux de survie est de 56,2% à 18‰, alors qu’il n’est que de 18,7% à 19‰, 0% à 20‰ et 3,1% à 21‰.
Tableau 3. Taux de survie par périodes de 3 jours des alevins de Oreochromis niloticus transférés directement de l’eau douce (0‰) à des milieux de salinités de 0‰, 17‰, 18‰, 19‰, 20‰ et 21‰ |
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Taux de survie par périodes de 3 jours |
Salinité du milieu d’élevage, ‰ |
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0 |
17 |
18 |
19 |
20 |
21 |
|
J1- J3 |
100 |
100 |
87,5 |
62,5 |
37,5 |
18,75 |
J4- J6 |
93,7 |
93,7 |
71,8 |
37,5 |
12,5 |
18,75 |
J7- J9 |
93,7 |
93,7 |
65,6 |
31,2 |
06,25 |
06,25 |
J10- J12 |
87, 5 |
87,5 |
59,3 |
28,1 |
00 |
03,1 |
J13- J15 |
84, 3 |
87,5 |
59,3 |
28,1 |
00 |
03,1 |
J16- J18 |
81,2 |
84,3 |
59,3 |
18,75 |
00 |
03,1 |
J19- J21 |
81, 2 |
84 ,3 |
56,25 |
18,75 |
00 |
03,1 |
Une comparaison deux à deux des taux de survie aux différentes salinités par le test de Mann-Withney, a donné les résultats contenus dans le tableau 4. Aucune différence significative n’est signalée entre 0‰ et 17‰ d’une part, et entre 20‰ et 21‰ d’autre part. Partout ailleurs, les différences observées sont significatives.
Tableau 4. Résultats du test de Mann-Withney, comparant deux à deux, les milieux de salinités différentes, lors du transfert direct des alevins de l’eau douce vers ces milieux |
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Salinité, ‰ |
Salinité du milieu d’élevage, ‰ |
|||||
0 |
17 |
18 |
19 |
20 |
21 |
|
0 |
1 |
0,6474 NS |
0,0082 S |
0,0020 S |
0,0018 S |
0,0018 S |
17 |
|
1 |
0,006 S |
0,0020 S |
0,0018 S |
0,0018 S |
18 |
|
|
1 |
0,0101 S |
0,0018 S |
0,0018 S |
19 |
|
|
|
1 |
0,0164 S |
0,0039 S |
20 |
|
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|
|
1 |
0,3259 NS |
21 |
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1 |
S = différence significative ; NS = différence non significative |
La figure 2 fait état du taux de survie relatif aux différentes salinités, sur toute la période de l’expérience. Il est de 103,8% à 17‰, tandis qu’il n’est que de 69,2% et 23%, respectivement à 18‰ et 19‰. A 20‰ et 21‰, il est dans l’ordre de 0% et 3,8%.
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La figure 3 présente l’évolution du taux de survie des alevins, successivement passés à des salinités de 16‰, 20‰, 25‰ et 30‰, en respectant des délais de 2 jours (Figure 3A), 4 jours (Figure 3B) et 6 jours (Figure 3C).
Trente (30) alevins sur les trente deux (32) ont survécu durant les 2 jours passés à la salinité de 16‰, ce qui représente un taux de survie de 93,7% (Figure 3A). Ce taux reste constant durant les 2 jours de séjour des poissons à 20‰. Aux salinités de 25‰ et 30‰, des taux de survie de 90,6% et 81,2% ont respectivement été enregistrés. Au terme des 8 jours qu’a duré le transfert des poissons de 16‰ à 30‰, le taux de survie global s’élève à 81,2%.
Le maintien des alevins durant 4 jours à la salinité de 16‰ a permis d’enregistrer un taux de survie de 90,6% (Figure 3B). Cette valeur est passée à 81,2% durant les 4 jours à 20‰, ainsi qu’à 25‰. A 30‰, le taux de survie est resté à 78,1%. A la fin de la durée totale du transfert (16 jours) des alevins de 16‰ à 30‰, le taux de survie enregistré est donc de 78,1%.
Trente (30) alevins sur les trente deux (32) ont survécu durant les 6 jours passés à la salinité de 16‰, ce qui donne un taux de survie de 93,7% (Figure 3C). Ensuite, il diminue aux salinités supérieures et est de 87,5% à 20‰, 84,3% à 25‰ et 78,1% à 30‰. Durant les 24 jours qu’a duré le transfert, le taux de survie enregistré est de 78,1%.
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Le test de Kruskal-Wallis a montré qu’entre les trois modalités de transfert, il n’y a pas de différence significative (p = 0,41).
Aux salinités moyennes de 10 à 17‰, le taux de survie enregistré sur les 3 semaines (96,8% à 10% et 16‰, 84% à 17‰) est similaire à ceux obtenu par Villegas (1990) (87% à 15‰) et Kabir Chowdhury et al (2006) (98% à 8‰ et 15‰). Par ailleurs, le taux de survie relatif à ces 3 salinités, supérieur à 100% soit 110,6% à 10‰ et 16‰ et 104% à 17‰ traduit que la survie a même été meilleure en ces milieux qu’en eau de ville (eau douce). Plusieurs auteurs en donnent l’explication. Selon Fontaine et Le Bail (2004), pour de nombreuses espèces euryhalines, le changement de milieu (passage eau douce vers les eaux saumâtres ou marines et réciproquement), s’accompagne d’une adaptation qui consiste en une osmorégulation conduisant au maintien de l’homéostasie de leur milieu intérieur. Le maintien de cet équilibre a un coût énergétique. Morgan et al (1997) et Fontainhas-Fernandes et al (2000) ont montré qu’en eau saumâtre, milieu dont la pression osmotique est proche de celle de l’animal (9‰), le coût métabolique de l’osmorégulation est réduit. Cela se traduit par une plus faible activité Na+-K+/ATPase branchiale, observée aux salinités comprises entre 5 et 10‰, milieux iso-osmotiques aux poissons (Güner et al 2005).
Traditionnellement, les salinités élevées ont toujours été considérées comme un stress pour les poissons d’eau douce et ne leur sont d’aucun bénéfice. Ceci est en accord avec les résultats obtenus. En effet aucun poisson n’a survécu à 28‰ et 35‰. Ces résultats sont conformes à ceux rapportés par les travaux de Villegas (1990), Weng et al (2002), Lemarie et al (2004) et de Güner et al (2005). Cette mortalité massive pourrait s’expliquer par l’incapacité des poissons à maintenir leur équilibre hydro-minéral. En effet, Güner et al (2005) ont montré que lorsque Oreochromis niloticus est transféré directement en eau à 36‰, l’activité de l’enzyme Na+-K+/ATPase des cellules à chlorure, responsables de l’osmorégulation, est très basse par rapport à celle des poissons maintenus en eau douce et qui régulent normalement. De même, le nombre de ces cellules à chlorure est plus faible que celui des poissons restés en eau douce ou, bien adaptés à des salinités comprises entre 5 et 20‰. Une dégénérescence de ces cellules a été constatée dans certains cas (Perry 1997, Hartl et al 2001).
L’ensemble des considérations ci-dessus pourrait avoir deux portées pratiques en matière de pisciculture dans nos plans d’eau lagunaire et même marine. La première d’entre elles tient compte de la grande stabilité hyaline de la majeure partie de nos zones lagunaires. En effet, Doudet (1992) a montré que le maximum de salinité pour ces zones, ne dépasse pas 15‰ au cours de l’année. Aussi, le transfert direct des alevins de Oreochromis niloticus de l’eau douce à des eaux de salinités ne dépassant pas 17‰, tel que montré dans ce travail, valeur proche du maximum indiqué, s’avère –t-il possible. Par ailleurs, il apparaît dans ce travail, qu’au lieu d’un transfert direct, les alevins peuvent subir un transfert progressif. Dans ce cas, il est possible d’atteindre des salinités plus élevées (30‰), avec un taux de survie de l’ordre de 80%. Ce résultat va dans le même sens que ceux de Villegas (1990), Lemarie et al (2004) et Güner et al (2005). Il confirme les travaux de Hwang et al (1989), montrant qu’une pré-acclimatation de Oreochromis mossambicus à 20‰, facilite son passage ultérieur à 30‰, par utilisation des mécanismes adaptatifs de l’osmorégulation. L’auteur cité explique également que le passage de Oreochromis niloticus, pré-adapté à 30‰ à une eau à 36‰, s’accompagne d’une augmentation de la taille des cellules à chlorure et de l’activité Na+-K+/ATPasique branchiale.
Dans cette étude, aucune différence significative n’a été rapportée entre les différentes délais de transfert des poissons aux salinités supérieures. Ainsi, pour le même taux de survie (78 à 81%), la salinité de 30‰ peut être atteinte soit en 8 jours, soit en 16 jours ou en 24 jours. Néanmoins pour un gain de temps, un transfert par délai de 2 jours est conseillé. Les excellents niveaux de survie enregistrés dans le transfert progressif constituent l’origine de la seconde portée pratique de ce travail.
L’objectif de ce travail était de rechercher les meilleures conditions de transfert de Oreochromis niloticus de l’eau douce en eaux salées, dans la perspective d’une maîtrise de son élevage en milieu lagunaire.
Les résultats obtenus montrent qu’un transfert direct des alevins est possible jusqu’à des salinités pouvant atteindre 17‰. Au-delà, il est conseillé un transfert progressif. Des travaux ultérieurs en milieu lagunaire sont donc envisagés et devraient confirmer ces résultats, obtenus en condition de laboratoire.
Les travaux ont été réalisés dans le laboratoire d’aquaculture du lycée professionnel des métiers de la pêche de Grand-Lahou, ville côtière, située au sud de la Côte d’Ivoire, à 152 km d’Abidjan, la capitale économique. Nous tenons à remercier le Directeur, M. Adama Yaliké, pour nous avoir ouvert les portes de son établissement. Nos remerciements vont également à l’endroit de Ms. Ya Kouamé Claude, Konan Séraphin, enseignants, qui nous ont apporté leur aide au double plan administratif et technique durant ces travaux.
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Received 22 January 2008; Accepted 1 March 2008; Published 1 May 2008